• L’Art Byzantin / 19.02.2024

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  • Elsa Saliba - Guide en Route
  • L’art religieux fait une apparition tardive dans l’histoire du christianisme, initialement marquée par une réticence à mélanger art et sacralité. En 313, l’Empire romain reconnait le christianisme en tant que sa religion et déplace la capitale de l’Empire de Rome à Byzance d’où sa nouvelle appellation « Empire byzantin ». Le 8e et 9e siècle connaissent la « controverse iconoclaste » et une grande question se pose : la représentation d'images saintes est-elle propice à l'idolâtrie ?

    L’art religieux fait une apparition tardive dans l’histoire du christianisme, initialement marquée par une réticence à mélanger art et sacralité. En 313, l’Empire romain reconnait le christianisme en tant que sa religion et déplace la capitale de l’Empire de Rome à Byzance d’où sa nouvelle appellation « Empire byzantin ». Le 8e et 9e siècle connaissent la « controverse iconoclaste » et une grande question se pose : la représentation d'images saintes est-elle propice à l'idolâtrie ? En 834, l’affirmation de l’image a finalement prévalu. L’acceptation de l’admiration des icônes entraine la prospérité de l’art et de l’architecture dans l’Empire byzantin. L’art et l’architecture chrétien·ne·s naissent alors sous l’influence de l’art païen et l’art oriental. Après la chute de l'Empire byzantin et le schisme entre l'Église catholique et l'Église orthodoxe, les tendances artistiques ont divergé entre l'Orient et l'Occident. L'influence persistante de l'Empire byzantin est remarquable dans l'art des églises orthodoxes orientales, tandis que dans l'Occident chrétien, l'art a évolué selon des courants artistiques régionaux. Aujourd'hui, l'art et l'architecture continuent d'être des éléments cruciaux dans les pratiques des églises orientales orthodoxes, préservant ainsi l'héritage des traditions byzantines. Cette diversité artistique reflète les multiples facettes et évolutions du christianisme à travers les âges. Nous explorerons dans ce qui suit les caractéristiques de l’art byzantin en présentant l’architecture ainsi que les fresques et les icônes propres aux églises orientales. 

    L'art religieux se distingue des tendances modernes de l'art, communément associées à l'originalité et à l'expression individuelle. Contrairement aux œuvres contemporaines qui cherchent à se démarquer par la créativité et l'unicité, l'art sacré privilégie d'autres aspects. L’art byzantin est caractérisé par sa platitude et sa précision, sans se soucier de représenter en profondeur et en détail le personnage en question. Effectivement, la plus grande importance est accordée à la reconnaissance immédiate des personnages bibliques qui nous deviennent de plus en plus familiers à force de regarder les icônes. Chaque personnage biblique est associé à des attributs pour faciliter son identification. Ces attributs sont établis par convention et adoptés comme langage visuel par les iconographes. Pour illustrer, les saint·e·x·s guérisseur·se·x·s sont représenté·e·x·s avec des trousses de soins, les martyrs avec un crucifix, etc.  

    L’architecture byzantine est connue pour ses plans centrés (plans circulaires ou polygonaux, souvent dotés d’une coupole), ornés de dômes somptueux et décorés de fresques. Une spécificité emblématique des églises byzantines est la présence du Pantocrator, une représentation fondamentale au sein des fresques de ces édifices.  Le Pantocrator - « le tout puissant » en grec-  est une représentation du Christ spécifique aux églises byzantines, typiquement située au creux du plus haut dôme. Le Christ est dépeint avec des cheveux foncés et une barbe qui reflètent une allure sémitique, vêtu de bleu ou de violet sur un fond doré. Le Pantacrator, entouré d’une auréole, tient un livre dans sa main gauche et est accompagné des lettres « IC » et « XC », une abréviation en grec de « Jésus Christ ».

    L’une des cathédrales byzantines les plus emblématiques est Hagia Sophia, église construite dans ce qui était la capitale de l’Empire byzantin à Istanbul (anciennement Constantinople) en Turquie. Cette cathédrale est connue pour être le symbole de l’Empire byzantin dont l’architecture grandiose reflète son nom signifiant « Sagesse Divine ». Après l’invasion ottomane, Hagia Sophia a été convertie en mosquée, conservant toutefois son identité byzantine. De nos jours, il s’agit d’un musée et d’un édifice touristique qui attire de nombreux·se·x·s visiteur·se·x·s internationaux·ale·x·s.

    On peut retrouver des églises byzantines partout où des communautés chrétiennes d’affiliation orientale existent, notamment en Russie, en Grèce et au Moyen-Orient. Malheureusement, nous avons récemment été témoins d’une attaque sur la troisième plus ancienne église au monde ; en octobre 2023, l’église Saint-Porphyre en Palestine a été partiellement endommagée. En effet, le bâtiment d’entrée de l’église qui servait comme abri pour des civil·e·x·s a été attaqué et détruit par l’armée israélienne. Cela constitue un événement tragique non seulement sur le niveau humanitaire mais aussi pour le patrimoine artistique et religieux.

    En Suisse, il existe des églises orientales dans la plupart des cantons. Vous pouvez découvrir l’église orthodoxe russe de Genève à travers l’offre « Ceinture James Fazy » que propose « Dialogue en Route ».


    Bibliographie :

    Smarthistory, “Guide to Byzantine art”, in Smarthistory, September 2, 2021, accessed October,2023, https://smarthistory.org/guide-to-byzantine-art/.

    Pezet, J. (n.d.). Que Sait-on de la frappe sur l’église Orthodoxe Saint-Porphyre de Gaza ? Libération. https://www.liberation.fr/checknews/que-sait-on-de-la-frappe-sur-leglise-orthodoxe-saint-porphyre-de-gaza-20231020_UEDAUKYVRFDD5NGVKB43BY2SAQ/


    Image : Église Orthodoxe Russe : Cathédrale de l’Exaltation de la Sainte, Genève, Suisse.

     

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  • Table ronde "Vers des Églises inclusives?" - Compte rendu / 19.02.2024

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  • Vincent Magnenat - Guide en Route
  • Le samedi 28 octobre 2023 se tenait à la Maison internationale des associations à Genève une Table ronde organisée par « Dialogue en Route », médiée par Yanncy Fanti, guide au sein du projet, dont l’objectif principal était de discuter de l’inclusion des personnes LGBT+ au sein des Églises protestantes.

    Le samedi 28 octobre 2023 se tenait à la Maison internationale des associations à Genève une Table ronde organisée par « Dialogue en Route », médiée par Yanncy Fanti, guide au sein du projet, dont l’objectif principal était de discuter de l’inclusion des personnes LGBT+ au sein des Églises protestantes.

    Les trois intervenant·e·x·s étaient Nicole Rochat, de l’association « Arc en ciel » à Neuchâtel, thérapeute de couple, pasteure et sexologue ; Erin Lederrey, présidente de l’antenne LGBTI Genève et aumônière militaire et Andrea Coduri, animateurice au sein de l’Église évangélique reformée du canton de Vaud (EERV) pour le groupe Église inclusive et du groupe de parole « À bras ouverts » et formateurice pour pasteur·e·x·s et diacres.

    La discussion fut dirigée par trois thèmes principaux : le climat institutionnel des Églises protestantes quant à l’inclusion des personnes LGBT+, les défis auxquels sont confronté·e·x·s les personnes LGBT+ dans ces mêmes Églises et enfin, quelques réflexions sur la théologie queer.

    Les intervenant·e·x·s ont mis en évidence un certain avancement quant aux questions d’inclusivité queer au sein de l’institution de l’Église protestante. Andrea a par exemple réussi à mettre en place, pour le personnel de l’Église, une formation obligatoire portant sur les droits des personnes LGBT+. Nicole a aussi souligné une réelle ouverture de l’Église catholique romaine puisqu’aujourd’hui ont lieu en ses murs des cérémonies inclusives. Andrea et Nicole ont ensuite évoqué l’importance du contexte législatif : en Suisse, les discriminations se basant sur l’orientation sexuelle étant interdites depuis 2020 et la votation pour le mariage pour tou·te·x·s ayant été acceptée en 2021 ont probablement contribué à cette avancée. Toutefois, comme le rappelle Erin, il reste un travail conséquent à faire afin de contrer une certaine inertie présente dans les Églises. Les trois participant·e·x·s sont donc unanimes au sujet de l’importance du dialogue ; il est absolument nécessaire pour elleux d’aller à la rencontre des personnes méfiantes et les rassurer : les personnes queer sont présentes pour faire avec l’Église et non contre.

    Au sujet des défis auxquels les personnes queer sont confrontées, Erin commence par mettre en avant la foi très vive qu’il faut pour les individus quittant leur communauté religieuse car néfaste pour elleux : ces personnes doivent faire le deuil de cette communauté qu’elles quittent, mais aussi des pratiques qui s’y tenaient. Et pourtant, elles vont quand même revenir vers une autre forme de christianisme. De son coté, Nicole a partagé son rôle de pasteure et sexologue, soulignant l’importance de concilier ces deux domaines. Elle a notamment travaillé sur des initiatives visant à aider les gens à se réconcilier avec leur sexualité et à la vivre pleinement, en travaillant entre autres sur les blocages liés à la théologie. Enfin, Andrea a rappelé qu’il n’existe pas de recette magique pour favoriser l’inclusion des personnes LGBT+. Iel prône donc le contact humain, la communication et le choix des bon·ne·x·s allié·e·x·s comme éléments essentiels de progression dans cette voie.

    L’échange s’est terminé par des réflexions au sujet de la théologie queer. Erin et Andrea ont rappelé qu’il existe tout un corpus de théologies différentes et que la théologie dite « classique » est une manière d’interpréter les textes bibliques parmi d’autres, personne ne détenant la vérité de ce que Dieu a voulu exprimer. La théologie queer part du point de vue des marges, c’est-à-dire des personnes qui se disent elles-mêmes queer. Il existe un certain nombre de récits bibliques que les personnes LGBT+ peuvent s’approprier. Nicole est d’ailleurs revenue sur l’importance d’oser approcher et faire sienne la Bible : c’est ce qui fait de la parole de Dieu une parole vivante. La théologie queer aurait aussi comme mérite de libérer la religion chrétienne d’un carcan normatif dans lequel elle aurait été enfermée.

    Enfin, la rencontre prit fin par un moment dédié aux questions du public. Ont été abordées les questions de la posture à aborder avec les personnes désapprobatrices de ces évolutions au sein de l’Église (faut-il, par exemple, nécessairement leur laisser une place ?) et les risques de poussées réactionnaires dans le milieu. Synthétiquement, les réponses pointent vers la nécessité du travail sur le terrain, au contact avec ces personnes, tout en protégeant au mieux celleux dont les vies peuvent être menacées lorsqu’elles se heurtent à de l’homophobie ou de la transphobie.

    En conclusion, nos intervenant·e·x·s ont pu mettre en avant une réelle progression des mœurs au sein de l’Église protestante. Les personnes LGBT+ se heurtent cependant toujours à des résistances au sein de l’institution. Comme c’est le cas pour de nombreux types de discriminations, la rencontre et le dialogue sont des outils fondamentaux pour lutter contre la malveillance et l’intolérance. Nicole, Erin et Andrea ont aussi rappelé qu’il n’existe pas une théologie unique et qu’il est essentiel que la communauté queer protestante s’approprie elle aussi le message de Dieu.

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  • Le sanctuaire de Karafuto et le shintoïsme d’État / 20.11.2023

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  • William Favre - Guide en Route
  • Japon, 1868. La restauration du pouvoir impérial accélère l’incorporation des territoires aïnous que sont les îles Kouriles, Hokkaidō et Sakhaline à la sphère d’influence nippone. L’objectif est alors de transformer Sakhaline en un rempart pouvant tenir face à une potentielle présence russe se faisant plus concrète dès le tournant du XXe. Toyohara ( r : Yuzhno-Sakhalinsk) devient la capitale de la région mais aussi la base de la garnison surveillant la frontière nord de l’Empire du Japon (Dai Nippon Teikoku). Aux infrastructures tracées dès 1905 s’ajoute un réseau spirituel, dont la clé de voûte deviendra le sanctuaire de ...

    Japon, 1868. La restauration du pouvoir impérial accélère l’incorporation des territoires aïnous[1] que sont les îles Kouriles, Hokkaidō et Sakhaline à la sphère d’influence nippone. L’objectif est alors de transformer Sakhaline en un rempart pouvant tenir face à une potentielle présence russe se faisant plus concrète dès le tournant du XXe. Toyohara ( r : Yuzhno-Sakhalinsk) devient la capitale de la région mais aussi la base de la garnison surveillant la frontière nord de l’Empire du Japon (Dai Nippon Teikoku). Aux infrastructures tracées dès 1905 s’ajoute un réseau spirituel, dont la clé de voûte deviendra le sanctuaire de Karafuto (Karafuto Jinja) en 1913.

     

    Dans cet article, nous analysons le lien entre shintoïsme, colonisation et État-nation, appliqué au cas d’étude de la colonie de Karafuto (il s’agit de la partie sud de l’île de Sakhaline, située dans l’Extrême-Orient Russe). Le Japon occupa ce territoire de 1905 à 1945. Tout d’abord, définissons le shintoïsme et sa variante d’État. Le shintoïsme, en japonais « voie des dieux » ou « chemin des divinités », est une religion native du Japon regroupant un ensemble et de pratiques qui révèrent différentes entités spirituelles appelées kami () ou « divinités ». Les principaux lieux de l’activité religieuse de la religion shinto sont les sanctuaires (jinja). Le shintoïsme d’État (kokka shintō) est une version du shintoïsme en vigueur de 1868 à 1945, liée à la couronne impériale, devenant la religion officielle de l’État japonais durant la période moderne (1868-1945)[2].

     

    Dès sa création, le shintoïsme d’État cristallise un désir global de créer une identité à laquelle souder des communautés hétérogènes sous une seule bannière. À la fin du XVIIIe siècle émerge une pensée proto-nationaliste où le Japon est perçu comme le pays béni par la protection des kami. On réinterprète alors les plus anciens écrits de l’histoire japonaise, le Kojiki (« Chronique des choses anciennes », daté de 712) et le Nihon Shoki (« Chronique du Japon », daté de 720). L’empereur reprend dans cette pensée une place d’intercesseur privilégié entre le monde terrestre et le monde céleste[3]. Avec l’ouverture forcée du Japon en 1854 et la signature des Traités Inégaux en 1855, le Shogunat des Tokugawa, régime politique guerrier mené par le clan Tokugawa, perd sa légitimité au profit de l’empereur, considéré seule autorité apte à reprendre le pouvoir politique. Aux yeux de la classe guerrière, l’empereur devient le garant de l’avenir du Japon confronté à l’expansion coloniale de l’Occident en Asie orientale. L’empereur devient l’incarnation de l’identité nationale japonaise. La fidélité à l’empereur est ainsi un marqueur de « japonité ».

    Les sanctuaires deviennent, dans ce contexte de profondes transformations sociales et spirituelles, le lieu d’expression de l’attachement au nouveau culte lié aux kami et à l’empereur. À de nouveaux sanctuaires s’ajoutent les anciens sanctuaires dédiés à une ou plusieurs divinités, incorporés dans un réseau pyramidal de sanctuaires principaux et secondaires. Au sommet se trouve le grand sanctuaire d’Ise (Ise Jingū), dédié à la déesse du soleil Amaterasu (Amaterasu Ōmikami) dont l’empereur se revendique le descendant. À Ise s’ajoutent treize sanctuaires majeurs répartis dans tout le Japon, dont le sanctuaire majeur d’Izumo (Izumo Taisha) honorant le dieu des tempêtes Susanō. À l’instar des temples bouddhistes formant des réseaux complexes, des centaines de sanctuaires quadrillent l’archipel et au-delà. Dès 1900 et la création d’un ministère dédié, les sanctuaires sont le lieu où les gens peuvent affirmer leur fidélité et leur attachement à l’empereur.

     

    En effet, dès 1894, le Japon se mue en puissance impériale en émulant ses modèles occidentaux, telle la Grande-Bretagne. En commençant par les colonies « internes » d’Hokkaidō et Okinawa, l’empire japonais s’étend en direction du Nord, du Sud et de l’Ouest sur le continent. L’entreprise impériale et coloniale change profondément la société japonaise, qui participe à l’« aventure » coloniale : les sanctuaires encadrent les colons dans les territoires nouvellement conquis. Les sanctuaires et le shintoïsme d’État occupent le rôle de piliers de la présence japonaise du territoire, encadrant la vie sociale et religieuse des populations. Par le biais de la religion, les sanctuaires coloniaux forment des lieux de sociabilité où les populations japonaises de différentes régions et classes peuvent se côtoyer. Les fêtes religieuses (matsuri) ponctuant le calendrier religieux sont des occasions privilégiées de renforcer les liens entre les humains et les divinités. Dans ces « sanctuaires de l’étranger » (kaigai jinja), les principaux kami célébrés sont les « trois divinités du développement » (Kaitaku mikami). Ces divinités sont célébrées pour la mise en valeur des territoires colonisés et la pérennité de la présence japonaise dans ces territoires[4]. Les sanctuaires coloniaux servent ainsi à créer un sentiment d’appartenance pro-japonais ou à le renforcer dans les colonies, puisqu’ils sont le relais de l’État.  Ces sanctuaires coloniaux servent aussi à soutenir l’entreprise coloniale en apportant une forme de protection spirituelle, comme le sanctuaire de Karafuto. Fondé en 1913, ce sanctuaire a pour but de garantir la prospérité et la solidité de la colonie la plus au Nord de l’empire. Une batterie d’artillerie commémore même cette fonction militaire ![5]

     

    Lieu célébrant la mission sacrée et sanctionnée par l’empereur de procéder au développement de l’île, le cas de figure du sanctuaire de Karafuto ne se distingue pas de ses homologues et constitue au contraire une norme dans les lieux de culte se situant dans d’autres colonies japonaises, à l’instar de Taïwan ou de la Corée. La trajectoire du sanctuaire de Karafuto se distingue de ses sanctuaires-sœurs par sa fin. Au moment de l’invasion soviétique de l’île en août 1945, le personnel sur place décide d’incendier le complexe afin que le sanctuaire ne tombe pas en mains ennemies. Dans l’urgence, les réceptacles des divinités n’ont pas pu être mis à l’abri[6]. Après la reprise de l’île, le Soviet local décida d’effacer au maximum toutes traces de la présence japonaise, renommant ultérieurement l’espace du sanctuaire « Parc Gagarine ». Les restes du sanctuaire ont été rasés pour faire place à bâtiment d’un style baroque russe et d’une plaquette commémorative des événements de 1945. Cette mesure participe à une entreprise de déjaponisation de l’île par l’URSS, d’où le peu de vestiges du 1905-45 dans le reste de Sakhaline. Ultimes souvenirs du sanctuaire, les chiens-gardiens du sanctuaire (komainu 狛犬) ont été placés devant le musée régional de Sakhaline[7].

     

    [1] Les Aïnous sont une population aborigène de l’île de Hokkaidō, des îles Kouriles, de Sakhaline et du Japon. Les Aïnous ont été incorporés à l’archipel formellement à partir de 1868.

    [2] Susumu Shimazono, State Shinto and the Religious Structure of Modern Japan, Journal of the American Academy of Religion, Volume 73, Issue 4, December 2005, Pages 1077–1098, https://doi.org/10.1093/jaarel/lfi115

    [3] Gideon Fujiwara, The Kokugaku (Native Japan Studies) School, Stanford Encyclopedia of Philosophy, 2018; 2021, URL: https://plato.stanford.edu/entries/kokugaku-school/, consulté le 16.10.23.

    [4] Suga Kōji, “A Concept of “Overseas Shinto Shrines”. A Pantheistic Attempt by Ogasawara Shōzō and Its Limitations”, in: Japanese Journal of Religious Studies, 37/1, pp. 47-74, p. 53.

    [6] Maeda Takakazu, “Shrines in Karafuto and Northern Territories”, in: Hibunji Shiryō Kenkyū, 1-36, 2015, p. 25.

    [7]https://ja.wikipedia.org/wiki/%E6%A8%BA%E5%A4%AA%E7%A5%9E%E7%A4%BE#/media/%E3%83%95%E3%82%A1%E3%82%A4%E3%83%AB:Yuzhno-Sakhalinsk_Museum_entrance.JPG, consulté le 16.10.23.

     


    Image : Sanctuaire de Karafuto, 1930, publié dans « Karafuto Shashinbō » par l’agence de Karafuto, publié par Abasaa, wikimedia commons, URL : https://commons.wikimedia.org/wiki/File:Karafuto_Shrine.JPG, consulté le 16.10.23.

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  • Échos du Festival de spiritualités à Tramelan / 14.11.2023

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  • Léa Assir - Guide en Route
  • La commune de Tramelan (Jura bernois) a accueilli du 28 septembre au 1er octobre 2023 un festival de spiritualités. Curieuse de connaître les participant·e·s, Léa Assir est allée à leur rencontre afin de les interroger sur leurs motivations.

    Au programme du festival : des ateliers, des conférences, des tables rondes et un concert autour de diverses expressions spirituelles en Suisse. Spiritualité chrétienne, mais aussi « spiritualités actuelles, nouvelles spiritualités, spiritualités émergentes, spiritualités antiques redécouvertes », pouvait-on lire sur le descriptif de l’événement.

    Et c’est bien ce que le public y a trouvé. Les festivalier·ère·s ont pu découvrir des pratiques comme le Qi gong, le chant grégorien, le chamanisme, le tarot ou la parole priée. Des présentations étaient aussi proposées sur des thèmes comme l’écologie dans l’islam, les rapports entre neurosciences et spiritualité ou encore la mort dans différentes religions. Le tout animé par une vingtaine d’intervenant·e·s venu·e·s surtout de Suisse, et d’ailleurs.

    Le festival a été organisé sur l’initiative du secteur Formation de l’arrondissement du Jura des Églises réformées Berne-Jura-Soleure. Pour réaliser cette première édition du projet, un groupe de pilotage de sept personnes aux âges et profils variés a été réuni. L’objectif : créer des espaces ouverts de rencontre, de dialogue, de questionnement et de tissage de liens dans un monde où, hors des églises, des formes alternatives de spiritualité captent l’attention de nombreuses personnes.

    C’est précisément dans une démarche d’ouverture, souvent teintée de curiosité, que les participant·e·s que j’ai interrogé·e·s se sont rendu·e·s à l’événement. « J’ai été à des choses nouvelles que je ne connaissais pas. J’ai découvert la médiumnité et je suis vraiment étonnée » m’a dit Sarah*. Même son de cloche pour Jean, dont je me suis approchée parmi une large majorité féminine : « Le dénominateur commun de ma présence ici, c’est de pouvoir participer à des sujets que je connais moins bien et de voir comment ils se rattachent les uns aux autres. »

    Murielle fait partie des personnes qui sont restées du début à la fin. « Moi, tout m’a intéressée. Je suis allée à tout et j’ai à chaque fois retiré quelque chose que je pouvais emporter. Pour réfléchir et ensuite travailler sur moi », m’a-t-elle dit. Elle était accompagnée de Béatrice, qui m’a dit avoir été intéressée par les activités sur la médiumnité et les neurosciences. À quoi elle a ajouté les tables rondes, où ont été débattues « différentes interprétations de la spiritualité dans une convivialité extrêmement belle », selon la festivalière.

    Anne-Marie, qui s’est définie comme « curieuse de pas mal de choses », m’a dit avoir été attirée par l’atelier sur le chamanisme. Elle a aussi relevé la conférence sur la spiritualité et les neurosciences : « mêler le pragmatisme à quelque chose de plus grand, ça fait du bien. » La participante a également dit avoir apprécié l’humour des intervenant·e·s. Idem pour Sarah, pour qui « cela fait partie du tout. »

    Tou·te·s ont vu le jour dans une famille chrétienne. Sans forcément abandonner cette foi d’origine, chacun·e a exprimé avoir ressenti à un moment donné un besoin ou une envie de connaître autre chose. Sarah, par exemple, m’a parlé de son « chemin spirituel personnel ». « Ma base est chrétienne, j’ai une fille pasteure, je reste chrétienne. Mais quand même, dans les Églises il y a quelque chose qui manque », m’a-t-elle dit. Elle fait aujourd’hui partie d’une église où se pratique la méditation. « La spiritualité me libère, c’est-à-dire qu’elle me donne la nécessité de chercher d’abord en moi, au plus profond de moi », m’a-t-elle expliqué.

    Si le festival visait à jeter des ponts, le but a en tout cas été atteint pendant l’atelier sur le druidisme de Joëlle Chautems. Nommée druidesse en 2022, elle a animé la session en lisière de bois. Dans son introduction, l’intervenante a raconté avoir été envahie d’une grande émotion lorsqu’elle a réalisé qu’elle, druidesse, avait était invitée par l’Église. Elle a alors eu une pensée pour tou·te·s ses ancêtres, nous a-t-elle dit. Pour Murielle, ce fut un moment fort : « J’ai été touchée par le fait que certains conférenciers ont exprimé – moi, ça m’a beaucoup émue – leur plaisir et leur surprise d’être invités par l’Église. Le druidisme par exemple. Et l’islam aussi. »

     

    *Tous les prénoms sont fictifs.


    Image : Flyer du festival de spiritualités © Églises réformées Bern-Jura-Soleure

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  • Lubaina Himid, So Many Dreams / 02.10.2023

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  • Sarah D. - Guide en Route
  • En début d’année, le Musée cantonal des Beaux-Arts de Lausanne a permis au public de (re)découvrir, et pour la première fois sur le sol helvétique, une figure majeure de l’art contemporain : Lubaina Himid. Sarah, guide au sein du projet « Dialogue en Route », nous propose un article inspiré de sa rencontre avec le travail de cette artiste.

    En début d’année, le Musée cantonal des Beaux-Arts de Lausanne a permis au public de (re)découvrir, et pour la première fois sur le sol helvétique, une figure majeure de l’art contemporain : Lubaina Himid.

    Artiste, curatrice et professeure britannique née en 1954 dans l’alors sultanat de Zanzibar, Lubaina Himid défend, depuis le début de sa carrière, les artistes provenant de la diaspora africaine[1]. Sa carrière artistique commence dans les années 1980 ; elle fait alors partie intégrante du BLK Art Group, composé d’artistes de la communauté africano-caribéenne britannique. Lubaina Himid ne cesse d’évoluer : de nombreuses expositions lui sont consacrées au Royaume-Uni ainsi qu’en Europe et aux Etats-Unis. En 2017, elle devient la première femme d’origine africaine à gagner le prestigieux Turner Prize pour son travail engagé sur les questions raciales ainsi que sur l’héritage de l’esclavage.

    Dans son œuvre, Lubaina Himid s’intéresse aux histoires culturelles et aux identités mais selon ses mots, elle veut « combler un vide »[2]. Comment raconter une histoire qui s’écarte de ce que la société considère comme l’histoire « officielle » ? Dans les musées et lieux culturels, comment donner de l’espace à des épisodes et figures historiques qui, pour des raisons plus au moins identifiables, n’ont pas leur place dans notre culture artistique ?

    Analyser toute la production artistique de l’artiste requerrait plus que quelques pages. Pour cette raison, cet article se concentre uniquement sur deux œuvres qui traitent de « vides historiques » au sujet de l’esclavage et de la place de la diaspora africaine au sein de la société. Les œuvres choisies sont Le Rodeur : The Exchange et Act One No Maps.

    La série Le Rodeur prend pour point de départ l’histoire presque inconnue du bateau négrier « Le Rodeur ». Au XIXème siècle, il « devint l’emblème de l’inhumanité de l’esclavage, notamment du fait que le capitaine ait ordonné que trente-neuf hommes et femmes esclaves atteint·e·s d’ophtalmie soient jeté·e·s par-dessus bord »[3]. En effet, le navire français, qui transportait des esclaves des côtes africaines au Caraïbes, est frappé par une épidémie d’ophtalmie qui rend aveugles toutes les personnes à bord. Lubaina Himid se demande : comment représenter une histoire si effrayante sur une toile ? Elle essaye alors de s’imaginer à la place de ces hommes et de ces femmes se trouvant dans un espace dans lequel ils et elles n'auraient aucune idée de ce qui se passe et aucun moyen de s’ancrer dans la réalité[4].

    Sur sa toile, elle cristallise un moment de l’histoire que le public ne saisit pas. Le Rodeur : The Exchange présente au centre de la composition cinq figures, dont une femme avec un masque d’oiseau, dans un espace inidentifiable avec une fenêtre s’ouvrant sur la mer. Nous ne savons pas ce qui se passe, ce qui s’est passé et ce qui se passera. Comme le dit bien l’artiste : « Il est question de la peur de l’inconnu et de la terreur au quotidien. […] Ces toiles dépeignent un monde chamboulé, mais dans lequel les protagonistes essaient de trouver des façons d’exister »[5]. Ainsi, Lubaina Himid souhaite que le public s’imagine entrer dans ces espaces, qu’il ne soit pas uniquement spectateur de la scène, mais qu’il interagisse avec les figures de l’espace pictural. Elle permet également de donner de la visibilité à une tragédie humaine très vite oubliée.

    Les femmes ont également une place importante dans l’œuvre de l’artiste. Elles sont représentées dans de multiples situations mais toujours en couple, comme par exemple dans Act One No Maps. La composition est librement inspirée des œuvres de Pierre-Auguste Renoir, La Loge (1874) et en particulier à la toile de l’artiste américaine Mary Cassatt, Dans la Loge (1878). Si les figures féminines des deux artistes impressionnistes évoluent dans un théâtre/opéra, Lubaina Himid demande au public de se questionner ; les deux femmes se trouvent-elles à l’opéra ou sur un bateau ? Si elles se trouvent bien à l’opéra, pour quelle raison s’ouvre devant elles une étendue d’eau ? Qu’est-il véritablement en train de se passer ? Dans plusieurs de ses conférences, l’artiste a souligné l’importance qu’elle accorde à la plage et à la mer, à la fois lieu de vacances et lieu traumatique pour la communauté africaine réduite en esclavage. Avec cette œuvre, elle reprend l’un des sujets les plus classiques de la peinture européenne et le réinvente en nous donnant une autre perceptive sur et de l’histoire.

    Le travail de Lubaina Himid nous fait réfléchir : il permet d’entrer en contact avec des histoires méconnues qui ont pourtant eu un impact considérable sur une communauté et sur un passé et présent d’oppression envers la diaspora africaine. Comme elle l’affirme elle-même, « nous ne sommes pas différent·e·s à cause de notre couleur de peau, mais de nos expériences vécues »[6].

     

    Image : Lubaina Himid, Act One No Maps, 1992, acrylique sur toile. 


    [1] Lubaina Himid, So Many Dreams, MCBA Lausanne, disponible à l’adresse URL: https://www.mcba.ch/expositions/lubaina-himid-so-many-dreams/

    [2] Ibid.

    [3] WELLEN Michael (éd), Lubaina Himid, Londres : Tata Publishing, 2022, p. 150.

    [4] HIMID Lubaina “Black Feminist Version”, The Courtauld Gallery, 2021, video disponible à l’adresse URL: https://courtauld.ac.uk/whats-on/onlineblack-feminist-vision-artist-lubaina-himid/

    [5] Guide de visite, Lubaina Himid, So Many Dreams, p. 9, disponible à l’adresse URL: https://www.mcba.ch/guide-visite-himid/

    [6] WELLEN Michael (éd), Lubaina Himid, Londres : Tata Publishing, 2022, p. 26.

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  • « Les évangéliques à la conquête du monde » - un documentaire qui fait couler de l’encre / 11.07.2023

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  • Yanncy Fanti - Guide en Route
  • Le 4 avril 2023, la chaine de télévision franco-allemande Arte publiait le 1er épisode d’un documentaire en trois chapitres portant sur la relation entre les mouvements évangéliques et les pouvoirs étatiques. Ce documentaire, co-écrit par le Professeur de sociologie des religions Philippe Gonzalez de l’Université de Lausanne, fait parler. 

    Le 4 avril 2023, la chaine de télévision franco-allemande Arte publiait le 1er épisode d’un documentaire en trois chapitres portant sur la relation entre les mouvements évangéliques et les pouvoirs étatiques. Ce documentaire, co-écrit par le Professeur de sociologie des religions Philippe Gonzalez de l’Université de Lausanne, fait parler. Il présente une analyse thématique et contextuelle permettant de comprendre la montée de la droite chrétienne et des politiques conservatrices dans de nombreux pays et plus particulièrement aux États-Unis et au Brésil. Depuis sa sortie, une contestation résonne au sein des milieux évangéliques (et plus généralement protestants) francophones. En effet, certain·e·s craignent un amalgame entre les phénomènes américains analysés par le documentaire et le contexte francophone.
    Le documentaire, séparé en trois parties, propose d’envisager le phénomène évangélique à partir des années 1950 en se concentrant dans un premier temps sur la figure de Billy Graham, un télévangéliste qui a permis de populariser le mouvement et de lui donner une forte assise internationale. Le second épisode évoque la transformation du mouvement religieux missionnaire en mouvement politique de droite conservatrice. Il explique notamment l’intrication qui se met en place entre certaines tendances évangéliques et le parti républicain autour de thématiques sociales comme la lutte contre les droits LGBT+ ou la lutte contre le droit à l’avortement. L’épisode final fait, quant à lui, un état des lieux de la droite chrétienne actuelle en montrant par exemple comment l’ancien président Donald Trump est parvenu à implanter des représentants religieux dans chacun de ses ministères. L’épisode évoque également l’élection de trois juges conservateurs évangéliques à la Cour suprême (grâce à qui, entre autres, en 2021, l’arrêté Roe Vs. Wade qui garantissait constitutionnellement le droit à l’avortement a été révoqué).  
    « Le documentaire «Les évangéliques à la conquête du monde» , coécrit par le sociologue des religions Philippe Gonzalez, de l’Université de Lausanne, emprunte-t-il des raccourcis malheureux? » C’est la question que se pose un article du 24H publié le 20 avril 2023. En effet, après la diffusion de l’avant-première du documentaire, le 20 mars, la Fédération Protestante de France (FPF) – faîtière des associations protestantes françaises – publiait un communiqué de presse dans lequel elle déplorait le parallèle entre les évangéliques en France et aux États-Unis. En effet, dans la troisième partie du documentaire, une séquence tire un rapide parallèle avec la situation française où le phénomène est bien moins important qu’aux États-Unis. L’article du 24H relaie également l’opinion de plusieurs personnalités, issues du monde académique ou pastoral, partageant cette crainte de l’amalgame. Philippe Gonzalez s’est cependant défendu en assurant que le film présente une diversité d’opinions, n’a pas de parti-pris et ne présente pas les deux situations nationales comme similaires.
    En effet, le documentaire ne présente pas les deux situations comme équivalentes. L’ensemble des trois parties fait d’ailleurs des sauts géographiques afin d’illustrer l’internationalisation de ces mouvements sans pour autant tomber dans un raccourci qui consisterait à réduire toutes les situations nationales évoquées (Brésil, Corée du Sud, Suisse, France, Israël, etc.) comme strictement équivalentes à la situation étatsunienne mais plus dans le but de montrer les points de connexion d’un ensemble de mouvements dont l’ADN institutionnelle repose précisément sur la pluralité des Églises, des voix et des contextes. Le documentaire affirme cependant que les mouvements évangéliques, bien que ne pouvant être réduits à une seule tendance homogène, suivent une progressive politisation au travers d’idées conservatrices. Cette thèse est notamment soutenue par Philippe Gonzalez qui travaille sur cette question depuis plus d’une dizaine d’années et dont le documentaire présente, en définitive, une ligne d’analyse conforme à l’ensemble de ses travaux.

  • Table ronde « Prévention et lutte contre le racisme : actions et enjeux » - Compte rendu / 28.03.2023

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  • Sarah D. - Guide en Route
  • En décembre 2022, « Dialogue en Route » a organisé une table ronde sur la thématique des actions et enjeux de la prévention et de la lutte contre le racisme. Des acteur·ice·s issu·e·s de divers domaines (autorités publiques, domaines artistiques, académiques, …) ont été invité·e·s à discuter de leurs projets, approches et actions et de leurs perspectives sur le sujet. En voici un compte rendu proposé par notre guide Sarah Délétroz.

    La lutte contre le racisme ainsi que sa prévention sont des enjeux essentiels pour la société contemporaine. Quand bien même des pas en avant ont été faits, les organes fédéraux, cantonaux et indépendants rencontrent encore des difficultés dans la prévention d’un problème de société qui « est présent depuis que la Suisse mondialisée existe et qu’elle est connectée économiquement au monde[1] ».

    Lors de la Table ronde « Prévention et lutte contre le racisme : actions et enjeux » qui a eu lieu en ligne le 5 décembre 2022, trois intervenantes, Eva Andonie (collaboratrice scientifique auprès du Service de la lutte contre le racisme de la Confédération), Zahra Banisadr (spécialiste en migration et relations interculturelles auprès du Service de la cohésion multiculturelle du Canton de Neuchâtel) et Mariam Mussa (projet Invisibles/Survisibles. A nos histoires), nous ont présenté des projets mis en place pour combattre le racisme. Elles ont également fait part des défis rencontrés.

    Les intervenantes s’accordent sur la place du racisme au sein de la société. Trop souvent perçu comme un problème interpersonnel, il est cependant une question sociale et structurelle[2]. Pour cette raison, les enjeux et problématiques du racisme dit systémique sont plus difficiles à empoigner. Comme le souligne bien Zahra Banisadr, nous sommes tous·x·tes concerné·x·es par le racisme, car il a un impact sur la cohésion sociale et par conséquent, sur la démocratie. Toutefois, les institutions politiques ne sont pas toujours au rendez-vous lorsqu’il s’agit de proposer des solutions, entre autres juridiques, pédagogiques et sociales, appropriées. En effet, comme le précise Eva Andonie, le Service fédéral de lutte contre le racisme doit tenir compte des décisions prises par le Parlement qui ne reflètent pas toujours les ambitions du Service. Cependant, cet organe de la Confédération, en dépit de ces difficultés d’ordre politique, coordonne la lutte contre le racisme à tous les niveaux de l’administration helvétique et soutient financièrement des projets qui ont comme objectifs la défense des droits humains et la lutte contre toute forme de racisme[3].

    Au niveau cantonal, les différentes administrations ont des bureaux dédiés à la sensibilisation et à la lutte contre le racisme. En Suisse, le Canton de Neuchâtel est pionnier pour sa politique d’intégration interculturelle. En effet, depuis plus de 25 ans, le Service de la cohésion multiculturelle (COSM) propose la « Semaine d’action contre le racisme ». Ce projet a comme objectif de sensibiliser la population à la prévention du racisme, notamment à travers des rencontres, ateliers ou expositions. De plus, au sein même de l’administration cantonale neuchâteloise, le COSM a mis en place une feuille de route qui analyse le ressenti des collaborateurs·x·ices par rapport aux inégalités sur leur lieu de travail. Ce questionnaire a permis d’établir un rapport qui propose des mesures à mettre en place pour combattre les discriminations en tout genre[4].

    Les intervenantes déplorent cependant un manque de collaboration entre les différents organes de l’Etat. En effet, comme l’indique Eva Andonie, une perspective intersectionnelle est essentielle dans la lutte contre toute forme de racisme. Elle regrette notamment un manque de projets communs avec le Bureau fédéral de l’égalité entre femmes et hommes. Dans le Canton de Neuchâtel, Zahra Banisadr explique que le COSM travaille avec tous les domaines de l’administration cantonale. Les intervenantes soulignent, pourtant, qu’une meilleure synergie entre tous les organes de lutte contre le racisme permettrait la création de projets de plus grande ampleur.

    Sensibiliser la population est fondamental. Cependant, cela ne doit pas être uniquement pris en charge par les personnes victimes de racisme. Pour cette raison, il est important de travailler dans les établissements scolaires et d’élaborer des activités adaptées aux différentes tranches d’âge. Dans les écoles du Canton de Neuchâtel, le COSM propose notamment, pour les écolier·x·es dès l’âge de huit ans, des rencontres avec des personnalités publiques, par exemple l’artiste suisse Licia Chery, qui témoignent, en engageant une dialogue avec les enfants, de leur histoire en tant que personnes ayant été confrontées à des actes de racisme. Pour les collégien·x·ennes, ces rencontres sont complétées par une thématisation des enjeux du racisme. Les lycéen·x·ennes participent à des conférences avec des spécialistes qui abordent des thèmes plus pointus, notamment le racisme systémique. Ces projets ont pour but de sensibiliser la population dès son plus jeune âge.

    Même si les mesures de sensibilisation continuent d’augmenter, elles rencontrent des résistances et les actes de racisme signalés, ainsi que les demandes de conseil sont en hausse[5]. Comme le soulignent les intervenantes, ainsi que la présidente de la Commission fédérale contre le racisme, « cela ne signifie pas nécessairement une augmentation générale de la discrimination raciale en Suisse, mais une volonté accrue des victimes de s’exprimer et de chercher conseil[6] ». Cependant, comme le dit Zahra Banisadr, « La société doit perdurer dans sa volonté » et continuer à s’exprimer pour que le monde politique devienne plus égalitaire et que tous·x·tes les citoyen·x·ennes soient représenté·x·es.

     


    [1] Denise Efionayi-Maeder, « Le racisme est structurel en soi », in : TANGRAM, n°46, 2022, p. 46, disponible à l’adresse URL : www.ekr.admin.ch/pdf/TANGRAM_46.pdf, consulté en ligne le 6 février 2023

    [2] Pour de plus amples renseignements sur le racisme structurel, voir la revue de la commission fédérale contre le racisme TANGRAM, n°46, 2022, dédiée à ce sujet.

    [3] Site web du Service fédéral de lutte contre le racisme, « Domaines d’activité », disponible à l’adresse URL : www.edi.admin.ch/edi/fr/home/fachstellen/frb/domaines-d_activites.html, consulté en ligne le 2 janvier 2023.

    [4] Service de la cohésion multiculturelle du Canton de Neuchâtel, « Racisme et discrimination », disponible à l’adresse URL : www.ne.ch/autorites/DECS/COSM/racisme-discrimination/Pages/accueil.aspx, consulté en ligne le 2 janvier 2023.

    [5] Incidents racistes recensés par les centres de conseil en 2021, 2022, disponible à l’adresse URL : www.ekr.admin.ch/pdf/Rassismusbericht_2021_fr.pdf, consulté en ligne le 6 février 2023.

    [6] Martine Brunschwig Graf, « Avant-propos », in : Incidents racistes recensés par les centres de conseil en 2021, 2022, p. 1, disponible à l’adresse URL : www.ekr.admin.ch/pdf/Rassismusbericht_2021_fr.pdf, consulté en ligne le 6 février 2023.

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  • Voyage mystique en terres helvétiques / 07.03.2023

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  • David Vurlod - Guide en Route
  • Elle ressemble à quoi la Suisse, vue à travers la fenêtre d’une mosquée ? Marwan Bassiouni, Rollois établi à Amsterdam, tente de répondre à cette question à travers l’exposition New Swiss Views à découvrir du 11 mars au 2 avril à la Halle Nord à Genève.

    Elle ressemble à quoi la Suisse, vue à travers la fenêtre d’une mosquée ? Marwan Bassiouni, Rollois établi à Amsterdam, tente de répondre à cette question à travers l’exposition New Swiss Views à découvrir du 11 mars au 2 avril à la Halle Nord à Genève.

    Il y a 4 ans, lors de ses études de photographie à l’Académie royale des beaux-arts de La Haye, Marwan Bassiouni se rapproche de sa foi et développe sa pratique religieuse. Alors qu’il cherche le bon angle pour traiter cette thématique, on lui souffle l’idée de prendre en photo des mosquées. Convaincu qu’il s’agit d’une piste à explorer, il commence à photographier l’intérieur des lieux de culte. Il est rapidement attiré par la lumière qui filtre à travers les fenêtres. En présentant ses premiers tirages, il réalise que le regard des gens change lorsqu’ils apprennent qu’il s’agit d’une fenêtre de mosquée. Il part donc en exploration dans le but de documenter les paysages occidentaux à travers cette lunette.

    L’Occident et la Suisse à travers les mosquées

    « En Angleterre, la communauté musulmane est principalement pakistanaise, elle est algérienne en France, turque en Allemagne et albanaise en Suisse » nous explique Marwan Bassiouni. « On voit donc un résultat des mouvements migratoires et des guerres qui ont traversé le 20ème siècle. Chaque pays a son propre métissage et sa propre histoire, ce qui rend chaque lieu unique. On remarque que les communautés musulmanes en Suisse sont peu implantées dans le débat public et cela fait écho à la répartition des lieux de cultes. Ces derniers se trouvent souvent dans les périphéries, ce sont des endroits cachés que certains musulmans ne connaissent pas. Souvent, on ne parle même pas directement de mosquée mais de Centre culturel ».

    Réalisme, immersion et tranquillité

    Au fil de ses pérégrinations, le dispositif est toujours le même : une photo prise depuis l’intérieur d’une mosquée qui montre le paysage extérieur. Au niveau de la forme, l’artiste cherche à « traduire des situations réelles ». Pour ce faire, il fait très peu de retouches mais un choix intervient lors du processus de création : « Je choisis les endroits qui m’intéressent et je fais une sélection. Je fais un travail artistique et non pas un travail d’inventaire. Il y a plus de 200 lieux de culte musulmans en Suisse. J’en ai photographié une quarantaine, j’en ai choisi une trentaine pour le livre que je prévois de faire et il en reste sept ici, à la Halle Nord » nous indique l’artiste.

    Dans les expositions de Marwan, pas de long texte explicatif : « Mon but est de limiter la parole pour laisser plus de liberté au spectateur. Ainsi, on évite de biaiser la personne et elle peut ainsi se faire son propre avis. Ceci peut amener à des avis très antagonistes. Lorsque mon travail est exposé, je le laisse entre les mains du public et le projet me dépasse. »

    Lors de notre déambulation dans la Halle Nord, nous sommes happés par la sérénité qui se dégage des clichés : « En optant pour les grands formats, j’aimerais que le public oublie qu’il regarde une photo. C’est pourquoi j’utilise la lumière naturelle des lieux. De plus, il n’y a jamais personne sur mes photos, ce qui permet d’amener la placidité et le silence que je recherche ».

    Celui qui apprécie les poètes Mahmoud Darwich et Rûmî pour leurs facultés à « accepter la réalité du monde et la rendre accessible » nous invite à découvrir sa monographie comme le miroir de réalités nouvelles.

     

    Halle Nord, Place de l’Ile 1, 1204 Genève

    Horaires : mardi au dimanche de 14h à 18h

    Table ronde en présence de l’artiste suivie d’un apéritif : 11 mars 2023 à 18h45


    Image : © Marwan Bassiouni, New Swiss Views #30, Switzerland, 2022,125x126,5cm

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  • Minorité religieuse rime-t-elle toujours avec discrimination ? / 20.06.2022

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  • Juliette - Guide en Route
  • Si les discriminations ciblent majoritairement les minorités, c’est aussi souvent vrai lorsqu’il s’agit de minorités religieuses. Mais est-ce forcément toujours le cas ? Pour répondre à cette question, Juliette a questionné notre partenaire Jean-Paul Gloor, membre du Centre bouddhiste tibétain de Martigny Gendun Drupa, sur son vécu en tant que personne issue d’une minorité religieuse en Suisse. 

    L’appartenance religieuse peut être un élément de rejet et de discrimination, qui va parfois jusqu’à s’institutionaliser, comme le montrent par exemple les votations contre la construction des minarets ou le port de la burqa en Suisse. Ces votations exemplifient bien l’islamophobie qui peut exister en Suisse et la discrimination sur la base de la religion. Alors que l’islam est souvent au centre des débats sur l’intégration, que le ou la musulman·e converti·e est parfois perçu·e comme un·e « traître·sse », qu’il est difficile pour les femmes musulmanes d’avoir un accès serein à l’espace public, qu’en est-il du vécu d’autres minorités religieuses en Suisse ? J’ai voulu questionner Jean-Paul Gloor, notre partenaire du Centre bouddhiste tibétain Gendun Drupa à propos de son vécu en tant que membre d’une communauté minoritaire (0,5% de bouddhistes résidant en Suisse en 2020 selon l’OFS[1]). Lors d’un entretien, je lui ai demandé comment il vivait son rapport aux autres en faisant partie d’une minorité religieuse. Vit-il lui aussi de la discrimination, ou de la méfiance, en raison de son appartenance religieuse ? Comment perçoit-il le regard que les autres portent sur lui et sa communauté ? Il est important de noter que Jean-Paul Gloor est un homme suisse, converti au bouddhisme, il n’est donc pas perçu de premier abord comme un étranger. Étant un bouddhiste laïc, il ne porte pas non plus de signe distinctif qui signifierait son appartenance religieuse.

    Jean-Paul semble être d’accord avec moi sur le fait que le bouddhisme bénéfice d’une meilleure réputation que d’autres minorités religieuses en Suisse, ce qui le désole profondément. Je lui ai donc demandé son avis sur les raisons de cette réputation. En tant que membre de la communauté, Jean-Paul met en avant le message véhiculé par sa religion. Selon lui, cette image positive du bouddhisme repose d’une part sur le message de non-violence prôné par le Dalaï Lama et d’autre part, sur une forme d’universalisme : « Sa Sainteté le Dalaï Lama met beaucoup en avant les valeurs communes à toutes les traditions plutôt que ce qui nous différencie. » dit-il. En tant que personne extérieure à la communauté, j’y vois - en plus du message évoqué par Jean-Paul qui semble convainquant – la longue évolution du cours de l’histoire et des rapports entre « Orient » et « Occident » qui se sont construits avec une forme d’idéalisation des spiritualités orientales et une fascination des Occidentaux·ales pour le bouddhisme (et l’hindouisme), en particulier dans les nouveaux mouvements religieux, en vogue à partir des années 70 aux États-Unis puis en Europe. En effet, les concepts de chakras, de karma, de réincarnation ou encore la figure du Bouddha nous paraissent plutôt familiers tant ils ont été intégrés dans le langage et les croyances locales.

    Malgré la réception globalement positive du bouddhisme en Suisse, lorsque le Centre Gendun Drupa a ouvert ses portes à Martigny en 2008 la communauté a dû faire face à une certaine méfiance de la part de la population locale. En effet, les suicides et assassinats collectifs de l’Ordre du Temple Solaire à Salvan (VS) et Cheiry (FR) en 1994 marquaient encore les esprits. Selon Jean-Paul Gloor, l’usage courant du terme de « gourou »[2] dans le bouddhisme renvoyait à l’imaginaire de la « secte » et faisait écho avec l’histoire régionale de ces dérives sectaires qui avaient tourné au drame. Afin de désamorcer cette méfiance, la communauté du Centre Gendun Drupa a tenu à s’impliquer dans la vie de la ville de Martigny, notamment lors d’événements organisés en collaboration avec les paroisses chrétiennes, ou le festival des 5 continents par exemple. Elle s’est aussi investie dans la Plateforme Interreligieuse Valais (PIV) ou a encore organisé des journées portes ouvertes au Centre.

    De manière générale, les membres du Centre Gendun Drupa de Martigny suscitent curiosité et sympathie, plutôt que méfiance et rejet. Faire partie d’une minorité n’implique pas nécessairement de la discrimination, mais souvent de la méconnaissance. Il est vrai que les bouddhistes semblent bénéficier en Suisse de stéréotypes positifs qui découlent d’une histoire longue et complexe des rapports entre Orient et Occident qui a façonné notre imaginaire. Il me semble important de poser la question de la provenance de ces stéréotypes à travers lesquels nous percevons les autres. Qu’ils soient positifs ou négatifs, ils ont souvent une grande influence sur nos interactions humaines. L’histoire peut nous aider à comprendre d’où nous viennent ces stéréotypes et préjugés. Mais, en attendant de fouiller les archives ou se plonger dans les livres, nous pouvons aussi nous rencontrer, apprendre à se connaitre et atténuer la méfiance par le partage et le dialogue. Voilà en tout cas ce à quoi aspire « Dialogue en Route ».

     

    [2] Le terme de « gourou » est issu de plusieurs langues indiennes dont le sanskrit. Il désigne simplement un « maître ». Le bouddhisme étant basé sur une transmission de maître à disciple, ce terme est utilisé de manière courante. Jean-Paul Gloor définit le gourou comme « un maître lourd en qualité ».

  • Être non-civilisé·e·s en 2022 / 09.06.2022

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  • Elsa - Guide en Route
  • Depuis le début de la guerre en Ukraine, les médias relayent de nombreux discours qui comparent les réfugié·e·s ukrainien·ne·s aux réfugié·e·s issus·e· de pays extra-européens. Dans cet article, Elsa nous livre une réflexion sur la différence de traitement des réfugié·e·s selon leur origine et leur soi-disant degré de « civilisation ».

    Au début de cette année, nous avons été témoins de plusieurs déclarations faites dans les médias et sur les réseaux sociaux, comparant les refugié·e·s de continents différents ; selon certain·e·s, les citoyen·nne·s de pays proches, qui partagent des ressemblances physiques avec le peuple du pays où elles et ils cherchent à trouver refuge, sont plus dignes d’être acceuilli·e·s. On entend aussi parler de pays plus « civilisés » que d’autres, classifiant ainsi les refugié·e·s de manière inégale selon leur nationalité.  

    Est-il pourtant possible de parler de peuples civilisés et de peuples non-civilisés en 2022 ? Quelle est l’origine de ce débat et que pourrait-il nous apprendre ?

    Le livre « Race et Histoire » (1952) écrit par Claude Lévi-Strauss, anthropologue et ethnologue français offre une réflexion importante pour notre propos. Dans cet ouvrage, Lévi-Strauss dénonce les préjugés racistes en faisant une déclaration assez choquante : « Le barbare c’est celui qui croit à la barbarie ».

    Lévi-Strauss critique dans son ouvrage les thèses influencées par le colonialisme (notamment celle de Gobineau) qui classent les êtres humains en races et donnent le droit à certains peuples, qui se croient supérieurs aux autres, de prendre à leur charge l’éducation et la civilisation des peuples qu’ils pensent culturellement inférieurs à eux.

    Il explique que la différence entre les races et les cultures n’est que le fruit d’une discrimination datant de l’Antiquité, dans laquelle tous les peuples qui ne faisaient pas partie de la culture gréco-romaine étaient considérés comme « barbares ». Les deux mots « barbare » et « sauvage » sont employés par les civilisations occidentales pour désigner des cultures étrangères. En effet, le mot « barbare » fait référence au chant incompréhensible des oiseaux, et le mot « sauvage » à la vie animale, sans culture et sans morale.

    En qualifiant quelqu’un de « sauvage » ou de « barbare », on vise à le déshumaniser. Ce que la déclaration de Lévi-Strauss veut mettre en relief, c’est le fait que, en traitant d’autres êtres humains de « barbares » pour les déshumaniser, l’individu responsable de ce discours montre son intention qui est assez violente, même « barbare » selon l’anthropologue. Pour lui, alors, l’individu qui traite les autres peuples de barbares et qui croit à la barbarie, manque lui-même d’humanité. 

    Il est assez remarquable qu’un propos daté de 1952 soit toujours d’actualité aujourd’hui. Pour quelle raison aurions-nous besoin de qualifier « l’autre » de « barbare » quand nous avons aujourd’hui tous les moyens nécessaires pour établir un dialogue entre les différents peuples malgré la multitude de langues parlées dans le monde ? Cette citation mérite notre attention et pourrait jouer un rôle dans la réflexion vis-à-vis des situations où l’on compare les êtres humains et réduit la valeur de leur humanité.

     

    Sources :

    Grierson, J. (2022, April 3). UK opens more welcome hubs for Ukrainian refugees. The Guardian. Retrieved May 27, 2022, from https://www.theguardian.com/uk-news/2022/apr/03/uk-opens-more-welcome-hubs-for-ukrainian-refugees

    Lévi-Strauss, C., & Scherrer, J.-B. (2016). Race et Histoire. Gallimard.

    Schneckenburger Benoît. (2017). Les phrases choc de la philosophie commentées. Ellipses.


    Image : Manifestations à Londres appelant le gouvernement à accueillir plus de refugié·e·s. (The Guardian April 3, 2022)

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  • Compte rendu de la table ronde « Les minorités en islam : chrétiens, juifs, femmes savantes et hérésies » dans le cadre du festival Histoire & Cité / 25.04.2022

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  • Sarah Z. - Guide en Route
  • Sarah Z. nous propose un compte rendu de la table ronde « Les minorités en islam : chrétiens, juifs, femmes savantes et hérésies » qui a eu lieu dans le cadre du festival Histoire & Cité à Lausanne. Lors de cette Table ronde, quatre intervenants ont mis en lumière le rôle de différentes minorités sociales dans le développement de la pensée islamique.

    L’islam est aujourd’hui régulièrement au cœur des discussions sociétales. Les mêmes sujets reviennent encore et encore sur la place publique concernant les nombreuses controverses que l’on connait à cette religion. Mais qu’en est-il des sujets dont personne ne parle ? Une conférence, qui s’est tenue le 2 avril 2022 à Lausanne dans le cadre du festival Histoire & Cité, avait pour objectif de mettre en lumière les « invisibles » de cette religion. Les intervenants, Blain Auer, Amir Dziri, Wissam Halawi et David Hamidovic ont, chacun à leur tour, voulu mettre en avant quelques minorités qui ont influencé l’histoire de l’islam.

    David Hamidovic a commencé par faire un bref résumé de l’influence des juif·ve·s sur l’islam. Pour ce faire, il a mis en lumière les liens très étroits des deux religions. En effet, le Coran parle maintes fois des israélien·ne·s et des juif·ve·s. Vers le 10-11ème siècle, musulman·e·s et juif·ve·s étaient souvent confronté·e·s les un·e·s aux autres, ce qui n’a guère engendré d’acculturation mais un transfert de culture, des échanges et négociations. David Hamidovic a fini par donner l’exemple des karaïtes, un courant du judaïsme fondé sur la Bible hébraïque et rejetant la loi orale, s’opposant de ce fait aux rabbanites. Les karaïtes ont établi un dialogue avec les musulman·e·s pour leur demander une protection vers le 10ème siècle. Ils·elles se sont installé·e·s dès lors en Égypte, cohabitant avec les musulman·e·s, et à Constantinople.

    Wissam Halawi a continué l’exposé en se rapprochant du point de vue chrétien. Il a commencé par rappeler que les chrétien·ne·s étaient, globalement, dans une situation précaire. Bien que l’on pourrait croire que leur précarité était due à une distribution inégale des richesses qui favorisait les musulman·e·s, en réalité certain·e·s musulman·e·s étaient, eux·elles aussi, tout autant pauvres. La pauvreté ne serait donc pas corrélée au christianisme mais plutôt aux chances de naître dans une famille plus ou moins aisée. Il a rappelé ensuite que la médecine arabe, bien connue de nos jours, avait comme premiers docteurs les chrétiens arabes. Ces derniers ont traduit les livres de Gallien, un médecin grec renommé du 2ème siècle après J.-C qui a laissé derrière lui des écrits sur la médecine d’une grande modernité pour l’époque, et ont transmis le savoir qu’ils renfermaient. Les chrétien·ne·s avaient le statut de « dhimmi » - terme qui désignait les citoyens non-musulmans dans un État musulman. De par ce statut, ils·elles étaient reconnu·e·s comme juridiquement inférieur·e·s dans le pacte d’Umar, un traité passé entre le calife Umar et les monothéistes non musulman·e·s en l’an 717. De nombreuses discriminations y figuraient telles que l’interdiction de construire de nouveaux édifices ou encore l’obligation de porter un signe distinctif. Ils·elles étaient en contrepartie protégé·e·s par les musulman·e·s.

    Blain Auer nous a parlé de la communauté musulmane Ahmadiyya qui trouve ses origines en Inde à la fin du 19ème siècle. La principale mésentente entre cette communauté et les musulman·e·s chiites et sunnites repose sur la croyance au Messie Mirza Ghulam Ahmad qui prétendait être un guide pour les musulman·e·s. Le Pakistan reconnaissant ce courant comme une hérésie, a décidé de punir quiconque prétendait être Ahmadi tout en étant musulman·e·. Aujourd’hui cette communauté compte entre 10 et 20 millions de fidèles dans le monde et détient la première mosquée construite en Suisse. Elle est située à Zürich. L’Ahmadisme n’est pas reconnu comme un courant de l’islam par la plupart des musulmans.

    Enfin, Amir Dziri nous a parlé du rôle des femmes au début de l’islam. A l’époque du Prophète Muhammad, ses femmes partageaient plus de temps avec lui et avaient une durée de vie plus longue que les hommes, ce qui leur donnait un grand avantage pour enseigner l’islam après la mort du Prophète. Mais le temps passant, les femmes ont perdu leur rôle de transmettrices et interprètes. La femme était vue comme séductrice et incapable de gérer les questions religieuses. En effet, la société patriarcale prenant le dessus, les femmes sont restées à la maison tandis que les hommes enseignaient et apprenaient en voyageant. Aujourd’hui cependant, quelques voix féminines se soulèvent afin de réclamer leur place dans le domaine de la connaissance religieuse. Nous ne pouvons qu’espérer que ces voix soient suffisamment fortes.

    L’influence que portent certaines minorités n’est donc pas toujours visible sur le moment. C’est lorsque l’on regarde rétrospectivement le chemin parcouru que l’on parvient à mettre en place toutes les pièces du puzzle. Certaines sont plus grosses que d’autres mais sans les petites, le puzzle serait incomplet.

    L’Histoire nous enseigne de multiples leçons que l’on peut retenir mais l’humain a parfois simplement décidé de se focaliser sur les grandes lignes en ignorant, voire niant, le rôle historique des minorités ethniques, de genre ou religieuses.  


    Image : Mosquée de Mahmud à Zürich. Cette mosquée, construite en 1962 par la communauté Ahmadiyya, est la première mosquée construite en Suisse. Source : https://ahmadiyyatmosques.files.wordpress.com/2017/11/mahmud-mosque-zurich-13.jpg 

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  • Au sujet de la nature humaine : quel lien entre racisme et sécularisation ? / 21.03.2022

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  • Claire R. - Guide en Route
  • Dans cet article, Claire R. nous éclaire sur les liens entre deux phénomènes centraux à la construction de la modernité: quelle relation peut-on penser entre racisme et sécularisation? Comment ces concepts ont-ils impacté en profondeur notre vision de l'humain ?

    Pour commencer, une tentative de définition s’impose. La sécularisation décrit le processus de différenciation ou transformation des sphères institutionnelles du « religieux » (institutions ecclésiastiques et églises) et du « séculier » (État, économie, science, art, etc.), de déclin réel ou supposé du « religieux » et de privatisation de la pratique religieuse (Casanova 2009 : 1050). Le terme, basé sur la formule de Max Weber de « désenchantement du monde », peut aussi signifier une capacité croissante à donner des explications « non-religieuses » (Calhoun 2012 : 337-338). Quant au racisme, il est défini comme une croyance en l’existence naturelle de « races » et d’une hiérarchisation de ces dernières (Ogunnaike 2016), comme un ensemble de techniques visant à gérer les différences (Lentin 2020) ou encore comme un système de domination. Ces deux phénomènes constitutifs de la modernité ont émergé en Europe dans des contextes historiques, sociaux, économiques spécifiques. Autant complexes que leurs développements soient, un aspect en particulier, celui de leur relation, me semble avoir été peu abordé – voire reste méconnu – lorsqu’il est question de racisme. En effet, l'idée même de « race » implique une certaine philosophie de laquelle découle une conception spécifique de l’être humain et de sa valeur ; une question centrale à laquelle, de tout temps, les différentes traditions religieuses ont répondu.

    La reconnaissance d’une dimension transcendantale à l’existence humaine a fait partie des visions du monde de toutes les civilisations qui nous ont précédées. Dans la pensée européenne médiévale, l’humain était un être fondamentalement théomorphe, créé à l’image de Dieu. Cette essence était inférée par sa faculté intellectuelle (Ogunnaike 2016 : 786). Influencé par les philosophes grecs, et en particulier Aristote et Plotin, l’intellect (nous en grec et intellectus en latin) était considéré comme la faculté la plus élevée, divine et intuitive, permettant à l’humain de percevoir directement Dieu et les vérités divines. L’intellect se différenciait donc de la faculté rationnelle (dianoetikón ; ratio), limitée à la pensée discursive et spéculative, et donc inférieure (ibid. : 789). Un autre concept hérité des doctrines grecques était la grande chaîne des êtres (scala naturæ), qui a continué d’être centrale dans la pensée occidentale. Elle représente l’idée que tout dans le cosmos est ordonné selon une hiérarchie. Dans la période médiévale Dieu se trouvait au sommet et était donc la mesure de toute chose. Le rang occupé dans cette hiérarchie était alors défini par la participation à la nature du Bien et par le degré de conformité à l'image de Dieu. Conséquence de la doctrine de l’Imago Dei, qui conférait à tout un chacun sa dignité propre, l’humain était pensé comme la plus haute créature vivante sur terre, au-dessus des animaux, des plantes et des minéraux (Ogunnaike 2016 : 788-789). Mais une hiérarchie de l’humanité existait tout de même, basée sur l’im/perfection spirituelle (ibid. et Wynter 2003 : 287) de chaque individu. La centralité de la spiritualité dénuait les aspects matériels ou physiques de toute importance (Ogunnaike 2016 : 790), contrairement à la nouvelle hiérarchie « raciale » qui allait émerger.

    En effet, la date clé de 1492 amorça une véritable rupture. La question fondamentale sous-jacente aux rencontres européennes avec l’« Autre » dans les Amériques, exemplifiée par la controverse de Valladolid, était de savoir ou de redéfinir ce que signifie « être humain ». Les deux hommes d’Église espagnols[1], Las Casas et Sepúlveda, débattirent de la nature et donc du statut des habitant·e·s indigènes des nouveaux territoires coloniaux espagnols. Las Casas argumenta en faveur d’une nature théocentrique (chrétienne) et d’une mission d’évangélisation. Il s’opposa à une mise en esclavage systématique des indigènes, les percevant toujours comme des congénères et potentiel·le·s chrétien·ne·s. Tandis que Sepúlveda prit position pour la conception émergente humaniste et ratiocentrique de l'être humain, identifiant les indigènes comme n'étant pas en pleine possession de la faculté rationnelle et légitimant ainsi leur mise en esclavage (Ogunnaike 2016 : 797 et Wynter 2003 : 269).

    Avec le déclin progressif de l’autorité et du pouvoir temporel de l’Église et la nécessité de justification des pratiques racistes, la conception théocentrique de l’être humain a graduellement été remplacée par une conception séculière ou désacralisée (degodded) (Wynter 2003). Elle a ensuite été théorisée de manière successive et systématique. Les penseurs de la Renaissance ont fait revivre le culte gréco-romain du corps, en partie en conjonction avec la tendance à un intérêt accru pour le monde matériel. Ceux de la période des Lumières, aussi appelé l’« âge de la raison », ont insisté sur le fait que seule la faculté rationnelle pouvait mener à la connaissance, éclipsant ainsi  la faculté intellectuelle et l’accès et le lien directs de l’humain à la transcendance. Enfin, les intellectuels du courant humaniste se sont focalisés sur le génie de l'homme ; « l’homme est la mesure de toute chose » étant une citation devenue l’un des symboles de cette pensée (Ogunnaike 2016 : 792 et Wynter 2003). Aussi, en conséquence de cette sécularisation, tant de la nature humaine que de la connaissance, la grande chaîne des êtres a subi une trans(dé)formation majeure (ibid.). Certes, Dieu est toujours présent en arrière-plan, mais en termes d’univers connaissable, perceptible et intelligible des philosophes et des scientifiques, l'homme a pris sa place (Ogunnaike. : 791). Il ne s’agit pourtant pas de n’importe quel homme : « être humain » est devenu synonyme d’homme[2] blanc, européen et rationnel. La place de l’être humain dans cette nouvelle hiérarchie n’est plus informée par son degré d’im/perfection spirituelle mais plutôt par son degré d’ir/rationalité (Wynter 2003 : 287) et par sa conformité à celui qui se trouve au sommet. C’est ainsi que la construction du concept de « race » a permis à l’Occident, alors en expansion mondiale, de répondre à la question de ce que signifie « être humain » (Wynter 2003 : 264). Alors que jusque dans la période médiévale les personnes noires étaient perçues comme païennes/non-chrétiennes, inférieures mais toujours humaines, après la Renaissance et les Lumières, elles ont été considérées comme irrationnelles et donc moins/pas tout à fait humaines (Ogunnaike 2016 et Wynter 2003). 

    Cette rupture dans la conception de l’être humain a eu des effets empiriques majeurs sur « l’émergence de l’Europe » et sa construction en tant « civilisation mondiale » d’un côté, et la mise en esclavage de l’Afrique, les conquêtes de l’Amérique latine et l’asservissement de l’Asie, de l’autre (Wynter 2003 : 263). Enfin, il est important, outre la question du racisme, de se questionner sur les effets de la sécularisation. Ce phénomène est à penser non en terme d’absence – un monde dépourvu du « religieux », mais bien plutôt en terme de présence : il façonne nos imaginaires sociaux, qui à leur tour contribuent à construire le monde (Calhoun 2012 : 335, 360).


    Sources :

    Calhoun, Craig. 2012. “Time, World, and Secularism.” Pp. 335–64 in The Post-Secular in Question: Religion in Contemporary Society, edited by P. Gorski, D. Kim Kyuman, J. Torpey, and J. VanAntwerpen. New York: NYU Press.

    Casanova, José. 2009. “The Secular and Secularisms.” Social Research 76(4):1049–66.

    Lentin, Alana. 2020. Why Race Still Matters. Cambridge: Polity.

    Ogunnaike, Oludamini. 2016. “From Heathen to Sub-Human: A Genealogy of the Influence of the Decline of Religion on the Rise of Modern Racism.” Open Theology 2(1):785–803.

    Wynter, Sylvia. 2003. “Unsettling the Coloniality of Being/Power/Truth/Freedom: Towards the Human, After Man, Its Overrepresentation - An Argument.” CR: The New Centennial Review 3(3):257–337.


    [1] Le rôle particulier des développements chrétiens internes dans le processus général de sécularisation est reconnu (Casanova 2009 : 1055).

    [2] Homme dans son sens genré.

  • « Intersectionnalité » : penser la discrimination au pluriel / 21.02.2022

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  • Matylda F. - Guide en Route
  • Que signifie la notion d’ « intersectionnalité » ? D’où vient-elle et à quoi sert-elle ? Cet article propose de réfléchir à cette notion et à comment elle nous aide à penser l’articulation de différents axes de discrimination.

    À l’instant où j’écris le titre de cet article, Word le souligne en rouge. Le terme d’« intersectionnalité » est de plus en plus débattu dans les milieux militants et en sciences sociales, pourtant il reste peu présent dans le langage courant. Que signifie-t-il ? Je propose d’en donner une brève définition et de réfléchir à comment l’approche intersectionnelle peut être mise en pratique afin de ne pas reproduire des formes d’oppressions.

    Emma DeGraffenreid est une femme noire. En 1976, elle attaque en justice une entreprise pour discrimination raciste et sexiste à l’embauche. L’entreprise prouve cependant qu’elle emploie des femmes ainsi que des personnes noires, ce qui est vrai, seulement il s’agit de femmes blanches et d’hommes noirs. La catégorie sociale de femme noire n’étant pas considérée comme telle, Emma perd son procès face à une justice qui ne répond pas à sa double identité et à la discrimination raciste et sexiste qu’elle subit simultanément.

    C’est en réponse à ce genre de situations qu’émerge alors le concept d’« intersectionnalité ». Il a été développé par la juriste et féministe anti-raciste afro-américaine Kimberlé Crenshaw en 1989. La définition juridique de la discrimination étant trop réductrice, elle propose d’utiliser le terme d’intersectionnalité afin de rendre compte de la complexité des expériences de marginalisation des femmes noires de classes défavorisées. Ce terme est aujourd’hui plus largement utilisé pour penser l’articulation entre les différentes formes d’oppressions que les individus subissent en fonction du genre, de la race, la classe, la sexualité, la religion et d’autres axes de discrimination.

    Le combat de Kimberlé pour la reconnaissance des identités plurielles et des discriminations particulières s’inscrit dans la continuité des mouvements féministes afro-américains et des féministes autochtones et indigènes qui luttent depuis bien longtemps pour leurs droits spécifiques (voir par exemple le travail d’Audre Lorde et d’Angela Davis).

    Mais comment mettre en pratique l’approche intersectionnelle ? Je propose ici deux éléments de réponse qui ne sont évidemment pas exhaustifs mais qui, je l’espère, invitent à la réflexion.

    Repenser ses privilèges* :

    Chacun·x.·e d’entre nous se situe à l’intersection d’un certain nombre de privilèges et d’oppressions. Se confronter à ses privilèges est essentiel pour prendre conscience de la place occupée dans la société. Par exemple, la couleur de peau blanche n’est que très rarement discutée en tant que telle ou même nommée et ne fait pas l’objet de débats. Le privilège réside alors dans le fait de ne pas avoir à se questionner sur cette « blanchité ». Dans mon cas, je me positionne en tant que femme, je suis blanche et valide. Je me bats contre le sexisme dont je suis victime mais mon expérience n’est pas égale à celle d’une femme racisée à mobilité réduite qui subit simultanément des discriminations de genre, de race et de validité.

    Écouter, amplifier la voix, donner la parole :

    Les groupes minoritaires ont été et sont encore largement représentés par les autres groupes dominants. Il est temps d’écouter et de donner la parole aux personnes concernées et ainsi de visibiliser leurs expériences sociales et leur réalité vécue. Ces espaces d’expression se trouvent dans les discussions quotidiennes, les débats politiques mais aussi dans les médias, les séries, les films, les livres etc. C’est entre autres en représentant les groupes minoritaires et en leur donnant une voix que leurs expériences particulières de discrimination pourront être nommées, prises en compte et que des changements pourront alors avoir lieu.   

    Cette notion d’intersectionnalité a donc pour but de repenser les inégalités dans la société avec plus de justesse et de pertinence, en acceptant et en reconnaissant les différences. Pour cela, chacun·x·e doit se questionner sur sa place au sein de la société, dans les mouvements sociaux, mais aussi sur comment être inclusif.x.ve et concevoir sa place au sein d’un groupe. Prendre conscience de ses privilèges et de sa position sociale est la première étape pour tendre vers un monde plus juste.

    « Ce ne sont pas nos différences qui nous divisent. C’est notre incapacité à reconnaître, accepter et célébrer ces différences » Audre Lorde

    *Un petit test pour prendre conscience de ses privilèges : « Check tes privilèges » (https://fr.surveymonkey.com/r/P79WYND)

     


    Image : Angela Davis protestant contre le racisme aux USA dans les années 60. https://averdade.org.br/2021/01/angela-davis-simbolo-do-combate-ao-capitalismo

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  • Représentation de personnalités controversées dans l’espace public – quel paysage commémoratif pour la Suisse ? / 01.11.2021

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  • Claire R. - Guide en Route
  • Une nouvelle offre à Genève, intitulée « Les élites locales et la fabrique des inégalités, parcours guidés entre histoire et mémoire », propose d’aller à la rencontre des bustes de personnalités historiques locales commémorées dans l'espace public qui ont contribué à la construction des inégalités à travers les discours discriminatoires, allant du racisme au sexisme en passant par le validisme et le classisme aux 19e et 20e siècles. Claire nous propose de poursuivre la réflexion en posant la question du sort de ces personnages dans l’espace public.

    Le 8 juin 2020, je publiais sur ma page Facebook le commentaire suivant : « Colston est tombé à l'eau à Bristol, qui est chaud pour faire subir le même sort à de Pury ? », accompagné d’une émission radio concernant « La face noire de Neuchâtel ». Le même jour, Le Collectif pour la Mémoire déposait à la chancellerie communale une pétition munie de plus de 2500 signatures pour demander le retrait de la statue de David de Pury.

    Cet appel à déboulonner des statues érigées en l’honneur de personnalités controversées, du fait de leurs activités coloniales, esclavagistes et/ou pour la diffusion de théories racialistes, sexistes et/ou validistes, a suscité un débat l’année dernière, revivifié notamment par le mouvement global Black Lives Matter. Certain·e·s, comme l’historien Nicolas Bancel(1), considèrent que « déboulonner les statues, c'est un peu effacer l'histoire ».

    Pour Mohamed Mahmoud Mohamedou, professeur d’histoire internationale à l’IHEID, la question du paysage commémoratif concerne plus la démocratie que l’histoire, et il ajoute : « une statue c’est une célébration, c’est quelque chose qu’on élève de plus, donc qu’est-ce qu’une communauté veut reconnaître ? ». Dans ce sens, il me semble que l’on se doit d’écouter et de ne pas minimiser le vécu d’une partie de la population qui fait état de son insécurité lorsqu’elle marche dans des rues qui portent les noms « de criminels, de personnes racistes, esclavagistes, de colons » et qui parle d’une forme de « violence au quotidien »(2). Des étudiant·e·s noir·e·s ont aussi partagé l’impossibilité de « sentir [leurs] intérêts protégé·e·s par un établissement [l’Université de Genève] dont les agissements minimisent le racisme scientifique et ses conséquences, encore bel et bien réelles »(3).

    Toutefois, certain·e·s pourraient se demander pourquoi des statues que personne ne remarque ou la nomination de bâtiments et de rues posent-elles problème ? Pour réitérer les propos de Mohamed Mahmoud Mohamedou en d’autres termes, il est question ici de choix, par rapport à notre mémoire collective, à notre patrimoine, c’est-à-dire à notre identité collective qui est intrinsèquement liée à des valeurs communes. Bien que la Suisse n’ait pas formellement participé à l’entreprise impérialiste et coloniale, fait sur lequel on aime insister et qui nourrit notre imaginaire collectif, on ne peut pas en dire de même des individus helvétiques de l’époque. En effet, des recherches académiques(4) sont menées depuis une quinzaine d’années pour clarifier et faire lumière sur leurs activités et leurs idéologies, qui s’inscrivent plus largement dans un passé colonial suisse. L’entreprise coloniale et impérialiste qui se situe à différents niveaux – idéologique, discursif, psychologique et matériel – fait partie de notre histoire. Selon la chercheuse Patricia Putschert, « comme dans le reste de l’Europe occidentale, la population suisse a appris à regarder le monde d’une manière coloniale et à se considérer comme supérieure. Cette vision raciste du monde se retrouve dans la culture populaire (…) »(5).

    Mais alors quelles solutions peuvent être apportées à la problématique du paysage commémoratif ? Comment faire face à notre passé qui a laissé ses traces matériellement mais également mentalement et psychologiquement ?

    Pragmatiquement, suite à l’appel d’une partie de la population concernant la statue de David de Pury, le Conseil communal neuchâtelois a décidé de mettre une plaque explicative concernant ses activités esclavagistes(6). À Genève, le projet 100Elles* propose de questionner la nomination des rues à travers un autre prisme, celui du genre, et a établi une liste de cent femmes qui remplissent « les critères officiels pour obtenir une rue à leur nom » et les a mises en avant dans les rues de la ville. Leurs biographies ont été publiées et des visites guidées sont organisées(7). Ailleurs, le maire de Londres a créé une commission chargée de revoir toutes les statues érigées à travers la ville. À Berlin, le musée de la Citadelle de Spandau abrite les statues qui ont été déboulonnées au XXe siècle après la Seconde Guerre mondiale. Enfin, selon l’historien Pap Ndiyae, il y a énormément de possibilités à explorer, au-delà du simple débat entre déboulonner ou non, qui seraient plus créatives et qui détourneraient le sens originel de glorification : en conservant les statues mais en les accompagnant de dispositifs, vidéos ou inscriptions par exemple, « la présence même de cette statue a plus d’intérêts mémoriels aujourd’hui que sa disparition pure et simple », à l’exemple de ce que propose Banksy(8).

    Enfin, entre celles et ceux qui craignent « l’effacement de l’histoire » et les autres qui revendiquent une justice mémorielle, il semble y avoir un consensus : la nécessité de revisiter l’histoire, d’ouvrir le débat et d’entreprendre une approche pédagogique pour que la population, notamment les jeunes, connaissent véritablement toutes les facettes de leur histoire et de ses implications aujourd’hui.

    Poursuivant les mêmes objectifs, « Dialogue en Route » vous propose un nouveau parcours à Genève, intitulé « Les élites locales et la fabrique des inégalités », qui s’intéresse dans une première visite à certaines figures de la Genève internationale et dans une seconde aux savants genevois, qui ont des monuments à leur nom et qui ont contribué au façonnement des inégalités.  


    (2) Émission Infrarouge de la RTS Films, rues, statues, le grand déboulonnage ? (17.06.2020)

    (3) Propos tirés de la pétition lancée par le Collectif pour une réflexion décoloniale de Genève, qui demandait à ce que le buste de Carl Vogt, théoricien racialiste, sexiste et validiste, soit déboulonné et que le bâtiment de l’Université de Genève, inauguré en 2015 (!) sous le nom de Carl Vogt, rebaptisé.

    (4) Voir Patricia Purtschert, Harald Fischer-Tiné, Hans Fässler, Andreas Zangger, entres autres. Voir aussi les ouvrages La Suisse et l’esclavage des Noirs (2005) et La Compagnie genevoise des Colonies suisses de Sétif (1853-1956). Un cas de colonisation privée en Algérie (2006).

    (6) L’« homme d’affaires » neuchâtelois du XVIIIe siècle aurait, selon l’historien Christophe Vuilleumier, monté des négoces à Lisbonne et à Londres en finançant des bateaux qui auraient déporté jusqu’à 45'000 personnes du continent africain vers les Amériques. Voir émission Forum de la RTS Le grand débat - Que faire de notre passé colonial ? (17.06.2020)

    (7) Site web du projet 100Elles*

    (8) Émission La Matinale de la RTS avec Pap Ndiaye (25.03.2021)


    Image de ©Banksy : La statue d’Edward Colston, un esclavagiste notoire du XVIIe s., a été déboulonnée et jetée à l’eau le 7 juin 2020 par des participant·e·s à une marche Black Lives Matters à Bristol. L’artiviste Banksy, en réponse aux débats entourant cet évènement, entre celles et ceux qui argumentaient pour le maintien de la statue et celles et ceux qui soutenaient son retrait, a publié sur son compte Instagram le 9 juin 2020 une solution alternative qui conciliait dans une certaine mesure les deux positions : « What should we do with the empty plinth in the middle of Bristol? Here’s an idea that caters for both those who miss the Colston statue and those who don’t. We drag him out the water, put him back on the plinth, tie cable round his neck and commission some life size bronze statues of protestors in the act of pulling him down. Everyone happy. A famous day commemorated. »

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  • Comment interroger la diversité ? Entretien avec Sandrine Ruiz / 05.05.2021

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  • Claire V. - Guide en Route
  • L’arrivée du projet « Dialogue en Route » en Suisse romande en juillet 2019 s’est accompagnée de l’inauguration de vingt offres de formation et de rencontre réparties dans les six cantons ; parmi celles-ci se trouve une station au Complexe culturel musulman de Lausanne (CCML) intitulée « Vous avez dit musulman·e ? ». Lors d’un entretien virtuel, Sandrine Ruiz, présidente de l’UVAM (Union Vaudoise des Associations Musulmanes) depuis 2018 et partenaire du projet pour l’offre en question, revient sur les raisons et motivations pour leur implication :

    « On est parti de l’idée de la diversité de la population musulmane au sein du CCML […] d’un questionnement à partir de la diversité pour donner un éclairage sur ce qu’il faudrait entendre quand on dit ‘les musulman·e·s’. Qui sont les musulman·e·s ? »

    Le CCML, fréquenté par des personnes de divers âges, parcours migratoires et origines sociales, illustre cette diversité et invite les visiteurs et visiteuses de son offre « Dialogue en Route » à s’y plonger. À travers des activités ludiques et participatives, reflet de l’approche expérientielle promue par le projet, ainsi que le matériel pédagogique qui lui est associé, « Vous avez dit musulman·e ? » déconstruit la catégorie « musulman·e » en interrogeant les stéréotypes d’apparence, mais aussi les préconceptions sur la population musulmane de la Suisse. « [La visite] permet de découvrir un lieu nouveau, rajoute Sandrine Ruiz, de le découvrir à la fois par soi-même et en groupe, avec ses propres appréciations et d’être amené‧e à discuter de l’espace à travers cette découverte. »
    Une approche réflexive qui contraste avec d’autres formats de visites qui ont pu avoir lieu : « Le centre recevait, avant covid, beaucoup de visites de gymnases, de la HEP, de classes en général. C’était des rencontres où les visiteurs et visiteuses posaient certes des questions, mais c’était quand même quelqu’un, l’imam par exemple, qui recevait le groupe et qui parlait. Alors que dans cette offre, c’est par une démarche participative des jeunes, en visite guidée par un‧e pair‧e, que les questionnements des jeunes trouveront réponse, et non par un enseignement reçu. La pédagogie de cette offre est attrayante. »

    Si la déconstruction de la catégorie musulman·e est nécessaire, c’est que, déclare Sandrine Ruiz, « souvent on a une vision très monolithique de cette catégorie. Non seulement monolithique, mais avec pas mal de stéréotypes. » C’est là un des enjeux derrière l’offre proposée au CCML : « Il y a un grand besoin d’aller à l’encontre des préjugés qui existent au sein de la société concernant les musulman·e·s ; s’ajoutent aux préjugés de mauvaises compréhensions de l’islam qui conduisent parfois à de l’hostilité. »

    La visite proposée par le CCML se dote ainsi, en plus de la transmission de connaissance, d’un rôle civique et social, s’affiliant de la sorte aux efforts des acteurs et actrices du dialogue interreligieux dont Sandrine Ruiz fait partie depuis de nombreuses années. Un engagement citoyen et pédagogique donc, qui se distingue clairement d’un enseignement catéchétique : « On n’est pas en train de toucher à la croyance, on informe le fait religieux d’un point de vue culturel, citoyen ou sociétal. La croyance est libre pour chacun·e. »
    Ainsi, la visite du CCML — comme le projet « Dialogue en Route » — souscrit aux principes de neutralité et de non-apologétisme adoptés par l’école obligatoire. « L’école n’est pas un espace où parler de religion dans le sens de croyances, mais où parler de religion avec une certaine distanciation, soutient Sandrine Ruiz. Cela permet de garder le lien avec le fait religieux, mais sans lui donner une consistance trop forte qui pourrait devenir conflictuelle. […] Par la mise en critique, l’école apporte une connaissance autour de la religion plus que sur la religion. » Une connaissance à laquelle l’offre « Vous avez dit musulman·e ? » propose d’amener les jeunes autrement : à travers la découverte d’un espace, la réflexion individuelle et collective et le jeu.

     

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  • Table ronde « Féminismes et religions » : un compte-rendu / 16.04.2021

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  • Claire R. - Guide en Route
  • Le 10 mars 2021, dans la continuité de la Journée internationale des droits des femmes, « Dialogue en Route », en collaboration avec le Cabinet ethnographique, a souhaité offrir une plateforme pour réfléchir et échanger sur la thématique de la place des femmes au sein des communautés religieuses et de la société de manière générale.

    La discussion, animée par Ophélie Jobin et Lucrezia Oberli, du Cabinet ethnographique, a réuni Julie Beniflah (juive et cheffe de projet Likrat Romandie), Sœur Adrienne Barras (catholique et membre de la congrégation des sœurs de Saint Maurice) et Gwendoline Noël-Reguin (protestante, diacre stagiaire de la Paroisse de Monthey et membre du Collectif Femmes* Valais) au théâtre de Valère à Sion pour qu’elles puissent partager leurs expériences personnelles. Miriam Amrani (musulmane et présidente de l’association Espace Mouslima) n’a pas pu être présente mais a partagé son témoignage à travers un enregistrement vidéo.

    Le titre de la table ronde, « Féminismes et religions », au pluriel, tenait à souligner qu’il existe de nombreuses postures féministes qui, sur certains sujets ayant trait aux femmes, peuvent tenir des avis divergents. Les différents rapports qu’il existe envers le(s) féminisme(s) se sont reflétés dans les définitions des intervenantes : alors que pour Miriam Amrani le féminisme peut avoir une connotation négative car il fait référence à un féminisme laïque, voire colonial, pour Julie Beniflah le féminisme n’a pas cette connotation négative. Il signifie tout simplement être une femme dans une société, décider de ce qu’on a envie de faire et y aller, sans obstacle.

    Concernant les « religions », au pluriel également, il était important de rappeler qu’il existe non seulement de nombreuses traditions mais aussi une grande diversité intrareligieuse.
    Julie Beniflah a partagé son expérience d’engagement au sein de la communauté juive de Genève, motivée par son besoin d’affirmer son identité personnelle. Elle considère que la place de la femme est plus importante que celle de l’homme dans la tradition juive, car elle serait spirituellement supérieure. En tant que femme, elle a les atouts tant de l’homme que de la femme.

    Sœur Adrienne Barras a partagé quant à elle une expérience vécue lors de la pandémie de Covid-19 : l’absence de prêtre pour présider les célébrations eucharistiques et les messes, même lors des célébrations de Pâques l’année dernière, a suscité beaucoup d’innovations et de créativité. Les sœurs ont commencé à proposer des commentaires et des méditations sur la Parole, une prédication qui en temps normal est réservée à celui qui préside. Elle a également relevé le paradoxe auquel fait face l’Église catholique : alors que les femmes ont en tout temps été très actives au sein de l’Église et ont occupé de nombreux rôles, elles n’ont toujours pas accès aux décisions et manquent jusqu’à ce jour de reconnaissance. Elle souhaiterait dans ce sens que s’opère un changement de mentalité, même si elle est consciente que cela nécessiterait beaucoup de temps.

    Ce souhait était partagé tant par Gwendoline Noël-Reguin que par Miriam Amrani. En effet, Gwendoline Noël-Reguin, a affirmé souhaiter un changement dans la mentalité des gens mais pas dans l’institution protestante elle-même, qu’elle considère comme naturellement ouverte à tout le monde et où les femmes y ont une place depuis longtemps. Dans la même veine, Miriam Amrani estime qu’il faudrait travailler sur les mentalités et sur le poids des traditions culturelles qui sont très éloignées de l’islam. En citant un verset du Coran (2:187), elle a insisté sur la complémentarité de l’homme et de la femme et de la nécessité de travailler en collaboration. Ces propos appelant à un changement des mentalités ont fait écho au mot d’ouverture de la présidente d’Iras Cotis. Rifa’at Lenzin a en effet souligné que les rôles des femmes ne dépendent pas seulement des doctrines théologiques mais aussi des conditions sociales générales.

    Aujourd’hui et dans le sens commun, il semble aller de soi qu’une posture féministe ne peut être conciliée avec une appartenance et/ou une pratique religieuse. Pourtant, c’est oublier l’histoire qui démontre que les relations entre féminismes et religions n’ont pas toujours été conflictuelles. Au contraire, certains mouvements féministes, en Europe comme ailleurs, ont des racines religieuses. Selon Béatrice de Gasquet, sociologue spécialiste des études genre et des faits religieux, ce serait à partir des années 1980 qu’apparaît dans le sens commun une vision qui oppose féminismes et religions. En conséquence, cela a invisibilisé les voix qui se sont élevées et qui s’expriment toujours au sein des traditions religieuses pour questionner et agir sur la place et les rôles des femmes. Cette table ronde a permis de lever le voile sur ces réalités vécues qui défient cette opposition.

    Finalement, la valeur intrinsèque donnée à l’être humain et l’égale dignité de l’homme et de la femme que l’on retrouve dans les différentes traditions pourraient être un apport utile aux débats féministes et aux féminismes laïcs, comme l’ont relevé les intervenantes. Aussi, la nécessité d’une véritable sororité et fraternité, voire d’adelphité(1)  a été maintes fois mise en avant. Un accent a également été mis sur le besoin d’un partenariat entre les femmes et les hommes pour tendre à des relations plus équitables au sein des communautés religieuses et à plus de justice pour tout le monde dans nos sociétés.

    (Re)visionner la table ronde

    (1) « Un mot inventé, pour un sentiment à imaginer, à rêver, à réaliser, peut-être, en ce XXI° siècle. Le mot adelphité est formé sur la racine grecque adelph- qui a donné les mots grecs signifiant sœur et frère, tandis que dans d’autres langues (sauf en espagnol et en portugais, ainsi qu’en arabe), sœur et frère proviennent de deux mots différents. Englobant sororité (entre femmes) et fraternité (entre hommes), l’adelphité désigne des relations solidaires et harmonieuses entre êtres humains, femmes et hommes » définition de Florence Montreynaud, écrivaine, historienne, linguiste et militante féministe, tirée du site : https://lespotiches.com/culture/comprendre/definition-adelphite-qu-est-ce-que-c-est/ (consulté le 11 avril 2021)

     

  • Le rôle de l’éducation pour dynamiser les jeunes à forger une culture de paix / 26.01.2021

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  • Mélanie - Guide en Route
  • Qu'est-ce que la paix ? Pour beaucoup, ce terme signifie l’absence de guerre. Cependant, la paix se limite-t-elle à cela ? Comment alors surmonter les conflits et créer la paix, que ce soit entre nations, ethnies, communautés, membres de la famille ou même en soi ? Lors du forum annuel de la Geneva Peace Week 2020, des expert·e·s issu·e·s de nombreuses organisations se sont penché·e·s sur ce sujet autour de la thématique : « Rétablir la confiance après des bouleversements : les voies pour réajuster la coopération internationale ».

    Parmi les nombreuses sessions, certaines étaient focalisées sur le rôle de l'éducation dans l’établissement d'une culture de paix, mettant l'accent sur le rôle décisif joué par les éducateur·trice·s et les jeunes en tant qu'artisan·e·s de la paix.

    Premièrement, l’éducation influence grandement la croissance des jeunes : aller à l'école ne consiste pas seulement à acquérir des connaissances académiques mais devrait également permettre à l’enfant d'apprendre à vivre en société et à mettre en pratique certaines valeurs fondamentales telles que la tolérance, le respect et la collaboration. Toutefois, le concept de « paix » n’est que peu abordé, de la même manière que la résolution de conflits. Un·e enfant sur six dans le monde grandit dans une zone de conflits,  se retrouvant ainsi confronté·e à de la violence, de l’injustice et de la haine. Dans de telles circonstances, l'« autre » est perçu·e comme quelqu'un à haïr et à contrer. Dans cet esprit d’adversité et de vengeance, la violence se multiplie. Néanmoins, l’un des moyens de surmonter ce cycle de violence est l’éducation. L’ONG Local Youth Corner Cameroon en a fait usage en permettant aux enfants de communautés ennemies d’étudier côte à côte, dans la même école, leurs permettant d’ouvrir leur esprit à la tolérance et au dialogue et à apprendre à collaborer et à vivre ensemble.  De plus, l'éducation qui prend place dans les salles de classe, se repend au-delà des murs de l'institution :  les enfants ayant appris la consolidation de la paix à l'école ont rapporté ces compétences à la maison pour les appliquer dans un environnement étendu.

    Deuxièmement, les éducateur·trice·s jouent un rôle crucial par leur position en tant qu’intermédiaires entre l’éducation et les étudiant·e·s. Par ailleurs, « la façon » dont les choses sont enseignées peut avoir de plus grandes conséquences que « ce qui est » réellement enseigné. Dans ce sens, ils·elles ont la responsabilité d'être des modèles et une source d’inspiration pour leurs élèves, en enseignant le respect, la confiance, la tolérance, l’empathie, l'utilisation de termes non violents, pour créer un environnement propice au développement du bien-être, non seulement intellectuel et physique, mais aussi mental et spirituel. À cet égard, les éducateur·trice·s peuvent aider les jeunes à devenir des leader·euse·s ambitieux·euses, capables de mettre en place des projets qui remodèlent leur environnement de manière pacifique.

    Finalement, les jeunes, en tant qu’artisan·e·s de la paix, jouent un rôle considérable pour l’avenir de l’humanité. Il est de ce fait essentiel pour les enfants de comprendre leurs buts dans la vie, leurs rêves et leurs valeurs, afin de pouvoir créer la paix en eux·elles-mêmes et la répandre autour d'eux·elles. De la sorte, les jeunes se fixeront des objectifs de vie allant au-delà de leur sphère individuelle, leur permettant de vivre pour la société et le monde. En agissant au service des autres, ils·elles développeront leur cœur altruiste, nécessaire à la construction de la paix.

    En tant que jeune étudiante, je suis ressortie dynamisée des conférences de la Geneva Peace Week. À cet égard, je ressens de l'espoir et de l'inspiration pour réinventer l'éducation comme un moyen d’établir une culture de paix, en responsabilisant les jeunes à devenir des leader·euse·s prenant action pour l’humanité. En tant que jeune pacifiste et faiseuse de paix, je garde précieusement dans mon cœur et mon esprit la citation du Dr. Hak Ja Han Moon : « La paix commence avec moi. »

     

  • Hanouka, la fête des lumières / 21.12.2020

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  • Simon - Guide en Route
  • Simon Bismuth, guide à « Dialogue en Route » depuis 2019 et animateur jeunesse pour la CILV (la communauté israélite du canton de Vaud), nous raconte en vidéo l’histoire et la signification de Hanouka, la fête des lumières. Simon est séfarade. Les séfarades sont les juifs historiquement issus de la péninsule ibérique, qui ont ensuite migré vers l’Afrique du nord.

    Simon Bismuth, guide à « Dialogue en Route » depuis 2019 et animateur jeunesse pour la CILV (la communauté israélite du canton de Vaud), nous raconte en vidéo l’histoire et la signification de Hanouka, la fête des lumières. Simon est séfarade. Les séfarades sont les juifs historiquement issus de la péninsule ibérique, qui ont ensuite migré vers l’Afrique du nord.
     

    En cas de questions ou de remarques, merci de nous contacter à blog@enroute.ch

  • Le Ramadan au temps du confinement / 15.09.2020

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  • Emile - Guide en Route
  • Le confinement nous a tous et toutes affecté·e·s et a bouleversé notre quotidien, rendant les contacts sociaux plus rares ou à distance. Le mois de Ramadan, qui est un mois sacré pour les Musulman·e·s, pendant lequel ielles pratiquent un jeûne complet durant le jour – attendant la nuit pour boire et manger – s’est déroulé durant cette période difficile. Pour essayer de comprendre comment les Musulman·e·s ont vécu ce mois particulier, Emile vous propose ici un interview avec Vahid Khoshideh, responsable de l’Association Islamique et Culturelle d’Ahl-el-Bayt de Genève.

    Le Ramadan est un moment d’intensification de la vie sociale pour les Musulman·e·s : les repas nocturnes sont pris en commun, avec la famille et les ami·e·s. L’Aïd al-Fitr (la fête qui marque la fin du mois de Ramadan et la fin du jeûne) est un des moments par excellence de la vie collective musulmane.

    Emile : Comment les membres de votre communauté ont vécu ce mois de Ramadan en « solitaire » ?

    M. Khoshideh : Le confinement a eu des avantages et des désavantages. D’un côté, il n’y a pas eu de contacts possibles, à part au travers des réseaux sociaux, mais de l’autre côté, cela a été l’occasion pour moi et beaucoup d’autres personnes, de se retrouver en famille. Pour les responsables des centres islamiques, qui sont très actif·ve·s durant ce mois, il est rare qu’ielles vivent la rupture du jeûne tous les soirs avec leur famille.
    Un autre avantage a été le fait de pouvoir choisir les orateurs et les sujets que nous désirions écouter. D’habitude, quand nous invitons un imam ou un orateur, il choisit le thème de son discours. Là, nous pouvions choisir qui nous voulions écouter, et beaucoup de vidéos d’orateurs ont été partagées sur les réseaux sociaux.
     Mais le côté social du Ramadan, la prise des repas en commun, les visites aux ami·e·s, cela nous a vraiment manqué. Cela m’a rappelé les mois de Ramadan que j’ai vécus dans les années 80 : je venais d’arriver en Suisse, et il n’y avait alors que très peu de Musulman·e·s avec qui partager ces moments.
    Il y a cependant un aspect du Ramadan que la pandémie ne nous a pas empêché de réaliser, c’est notre action sociale (l’aumône est un précepte coranique, et doit être plus importante durant le Ramadan). Nous avons envoyé des aumônes en Iran, en Afghanistan, ou offert de la viande pour les migrant·e·s précaires qui ne pouvait pas s’en acheter.


    Comment le lien dans la communauté a-t-il néanmoins pu être gardé ?


    Il faut d’abord savoir que les journées sont très longues en été, et que le jeûne amène une grande fatigue physique : quand nous nous retrouvions les années précédentes le soir, nous priions ensemble, mais il n’y avait pas beaucoup d’échanges, à cause de la fatigue. Cette année, au travers des réseaux sociaux, les échanges étaient plus conviviaux car nous avions plus de temps, et nous pouvions choisir avec qui discuter. Dans une mosquée, il y a beaucoup de fréquentation, nous savons qui sont les personnes qui fréquentent notre centre mais les connaître est une autre chose.  Cette année, nous avons pu apprendre à mieux nous connaître.


    Dans d’autres communautés religieuses, des technologies de communication (comme Skype, Zoom) ou des enregistrements vidéo ont été utilisés pour que les offices religieux, les prières, continuent à se faire à distance. En a-t-il été de même pour votre communauté ?


    Je l’ai proposé, mais il n’y a pas eu beaucoup d’intérêt. Il faut savoir que la majeure partie des membres sont actuellement des migrant·e·s afghan·e·s, et ielles n’ont pas l’habitude des vidéoconférences. De plus, ces technologies ne correspondent pas aux coutumes traditionnelles de la communauté et c’est quelque chose qui est très important pour nous. Il va quand même peut-être falloir s’adapter dans le futur, pour la fête de l’Achoura (commémorant le martyr de l’imam Hussein) et nous n’avons pas encore déterminé si la cérémonie aura lieu dans une salle, comme à notre habitude, ou si nous ne commémorerons que sur les réseaux sociaux. Il y a encore beaucoup de contaminations à Genève, et la valeur de la vie est si grande dans le Coran qu’il n’est pas question que notre cérémonie devienne un foyer de contamination.


    Des journaux décrivaient ce mois de Ramadan 1441/2020 comme « moins joyeux, mais plus spirituel ». Qu’en pensez-vous ?


    Tout à fait. Quand nous sommes dans une mosquée, à une cérémonie, nous nous trouvons dans un lieu spirituel, mais les gens restent les gens, avec leurs qualités et leurs défauts. Nous voyons des choses que l’on ne s’attend pas à voir dans une cérémonie spirituelle, et qui dérangent. Quand on est tout seul, le côté spirituel est beaucoup plus fort, et c’est un bon exercice de combattre tout seul ses envies et son égoïsme, avant d’affronter les obstacles dans la société. Comme le Prophète l’a dit, c’est un petit djihad en nous, avant de pouvoir servir la société (le terme djihad désigne également l’effort personnel fourni par les croyant·e·s pour s’améliorer et lutter contre leurs mauvais côtés).


    Ce mois du Ramadan était aussi un mois de réflexion. Qui aurait pensé qu’un virus invisible changerait le monde ?

    Nous devons réfléchir à nos habitudes qui ont détruit beaucoup des ressources naturelles que Dieu nous a données. Pendant deux mois, la nature a pris ses droits et nous devons tirer des leçons de cette crise. L’humanité ne doit pas répéter les erreurs qu’elle a commises depuis des décennies.
    Pour finir, j’ai une pensée pour toutes les personnes qui ont perdu la vie cette année, ainsi que pour leur famille.

     

  • Quand la mort s’expose au musée, partie 2 / 13.07.2020

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  • Julie - Guide en Route
  • Dans mon article précédent, je me suis intéressée à la question de l’exposition des « vestiges humains ». J’avais conclu que se questionner par rapport à l’exhibition de corps dans les institutions muséales revenait à remettre en question les identités nationales et poussait à redéfinir les sciences humaines et historiques. L’histoire de Saartjie Baartman, de son vrai nom Sawtche, connue sous le nom « Vénus hottentote », illustre dramatiquement  la nécessité de soulever cette question.

    L’histoire de Sawtche est tragique . Arrivée à Londres début septembre 1810, elle est exposée, tel un animal, sur des scènes de cabarets londoniens. Elle décède cinq ans plus tard à Paris. Animalisée, sexualisée, la « Vénus hottentote » est reluquée et étudiée parce qu’elle est « autre », « différente », parce qu’elle n’est pas de la même « race ». Elle est une curiosité pour les naturalistes, un objet d’étude qui permet de mieux comprendre l’histoire de l’évolution de l’homme . Savants, anthropologues, anatomistes et artistes se pressent pour la mesurer, la dessiner, l’ausculter sous tous les angles.


    Humiliée de son vivant, Sawtche continue à l’être une fois décédée. À sa mort, son corps est disséqué : certains de ses organes plongés dans des bocaux remplis de formol, rejoignent les étagères du Muséum National d’Histoire Naturelle (Paris ), puis celles des galeries d’anthropologie physique du musée d’ethnographie du Trocadéro (Paris ) – futur musée de l’Homme. Par ailleurs, un moulage en plâtre de son corps est effectué. Ce dernier, ainsi que son squelette, sont eux aussi exposés au Muséum d’Histoire Naturelle, avant de prendre place au Musée de l’Homme à partir de 1937, pour terminer dans les réserves de ce dernier dans les années 1970. Il est ressorti  temporairement en 1994 au musée d’Orsay comme témoignage de la « sculpture ethnographique du XIXème siècle » . Il demeure en Occident durant plusieurs décennies comme « un emblème de la connaissance anthropologique occidentale » , tandis que ses organes sont conservés pour le soi-disant  intérêt scientifique qu’ils représentent. Même dans la mort, toute l’humanité de Sawtche est niée, son corps, réifié, son histoire, effacée.


    C’est en juillet 1994, à la fin de l’apartheid, qu’une demande de restitution des restes de Sawtche est émise par l’Afrique du Sud. Il faut néanmoins attendre huit longues années, jusqu’en 2002, pour que ceux-ci soient rendus par la France à sa patrie d’origine. Après un long périple de presque deux cents ans, Sawtche peut enfin rejoindre sa terre natale. Elle est inhumée le 9 août de la même année au cours d’une cérémonie nationale et suivant les rites de son peuple. Le retour de sa dépouille dans son pays d’origine a déclenché un grand nombre de demandes de restitution de vestiges humains, mais aussi de biens culturels par des peuples autochtones. Si cette question occupait déjà l’esprit des musées ethnographiques – entre autres – depuis une vingtaine d’années, le cas de la Vénus hottentote cristallise et symbolise ces revendications. Il est aujourd’hui du devoir des institutions d’interroger l’histoire de chaque « vestige humain » qu’elles abritent  et de rendre humanité et dignité à ceux et celles qui en ont été bien trop longtemps privé.e.s.

    L’histoire de Sawtche a été maintes fois racontée. Publications scientifiques, films, livres, etc.  Chercheur.euse.s et acteur.trice.s culturel.le.s s’y sont intéressé.e.s, l’ont imaginée ou réinterprétée. Mais elle-même n’a jamais eu la possibilité de s’exprimer. Ce qu’elle a enduré et subi, ce qu’elle a ressenti, tout a été tu, étouffé. Parce que ses sentiments n’étaient pas importants. Parce que sa voix était jugée insignifiante. Parce qu’elle n’était pas, aux yeux des hommes et des femmes de l’époque, tout à fait humaine.
    Son histoire, comme celles de nombreux hommes et de nombreuses femmes qui ont enduré ce même destin, ne doit pas être oubliée. Si ce que Sawtche et tant d’autres ont vécu nous semble aujourd’hui atroce et inhumain, cela ne reste pas sans conséquence sur le présent et l’actualité. Le traitement qui leur a été infligé a façonné et continue de façonner notre rapport à « l’Autre », à son corps  et à notre manière de le percevoir. Aujourd’hui, l’enjeu pour les institutions muséales, lieu de médiation et de transmission de l’histoire, est de réfléchir à leur collection , à leur passé et à la manière de le présenter. Elles ont la responsabilité de rendre justice aux « vestiges humains » iniquement exhibés.

    En cas de questions ou de remarques, merci de nous contacter à blog@enroute.ch

  • Quand la mort s’expose au musée, partie 1 / 26.05.2020

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  • Julie - Guide en Route
  • Julie partage avec nous le premier volet d'une mini-série qui apporte une réflexion sur le rapport au corps au sein des musées. Quels enjeux éthiques et moraux sont rattachés à l'exposition des « vestiges humains » ?

    Des musées d’ethnographie, à ceux d’archéologie, en passant par les collections anatomiques, nombreuses sont les institutions qui abritent entre leurs murs des « vestiges humains » . Or, avec l’arrivée des études postcoloniales et les processus de décolonisation qui en découlent, celles-ci se voient obligées, depuis quelques années, de réfléchir à la fois à la manière dont ces collections ont été constituées, mais aussi aux enjeux éthiques et moraux rattachés à l’exposition de ces vestiges humains.

    Les collections humaines arrivent dès le XVIe siècle dans les cabinets de curiosité. Les récentes découvertes géographiques (amorcées par la « découverte » de l’Amérique en 1492) poussent explorateurs et autres amateurs à rassembler des collections hétéroclites où objets ethnographiques, spécimens botaniques et vestiges humains en tout genre se côtoient . À partir du XVIIIe siècle, grâce au progrès de la médecine et des techniques de conservation, les collections médicales prennent de plus en plus d’importance au sein des musées. C’est au XIXe siècle, avec le tournant évolutionniste et le début de l’anthropologie physique, qu’il est devenu nécessaire de rassembler des collections de vestiges humains divers, au même titre que des collections botaniques ou zoologiques. Or, ces récoltes d’ossements, de squelettes, ou de « parties molles »  se font au détriment des peuples concernés et de leurs rites funéraires. La constitution de ces collections anthropologiques prend fin au XXe siècle. Ces modes de collecte, qui tiennent plus du pillage et du vol, sont les témoins d’un acharnement à étudier des populations qualifiées d’inférieures et à leur nier à la fois toute histoire, toute culture et tout respect.

    Tout corps ne suscite pas les mêmes réactions, et dépend aussi des enjeux identitaires propres à chaque culture. Exposer la Vénus hottentote, victime de l’histoire coloniale, revenait à réifier son corps, à lui nier son humanité, à reproduire des schémas coloniaux en animalisant son corps, à rappeler un passé monstrueux, mais surtout à ne pas prendre en considération l’histoire, la mémoire et l’identité d’un peuple. A contrario la distance tant dans le temps que dans l’espace, mais aussi la distance culturelle des momies égyptiennes ôtent la vision de l’humain qui se cache derrière ces vestiges. Elles sont quant à elles conservées par souci de préservation et de transmission de l’histoire. Ainsi, tous les vestiges humains ne possèdent pas la même valeur aux yeux des scientifiques et du public. Leur exposition dépend de choix individuels propres à chaque institution culturelle. La muséographie joue un rôle essentiel dans leur appréhension. C’est aux musées de réfléchir à leurs collections et à l’« utilisation des vestiges humains ». Chaque exposition doit être envisagée avec une grande attention. La scénographie doit être pensée de façon à transmettre de manière intelligible le travail scientifique effectué en amont. Mais avant tout, c’est le respect de l’histoire et de la mémoire qui doit être le moteur de chaque démarche.

    Au-delà d’une culture et d’un imaginaire, la confrontation au corps mort nous ramène à notre propre finalité. Remettre aujourd’hui en question ces collections et la manière de les présenter revient à réfléchir à notre propre histoire et à notre rapport à l’Autre. De surcroît, elles amorcent une remise en question des identités nationales et appellent à la redéfinition des sciences humaines et historiques. Mais pour mieux comprendre ces enjeux, quoi de mieux qu’un exemple ? Article à suivre…

     

  • Pessah à travers mon regard / 13.05.2020

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  • Simon - Guide en Route
  • Simon partage avec nous ses réflexions sur Pessah, notamment sur l'importance de la rencontre familiale pour cette fête et l’impact des mesures de distance sociale pendant ce temps de confinement.

     

    Pessah est une fête juive qui compte énormément à mes yeux et je suis heureux de pouvoir partager mon expérience et mes souvenirs à propos de ce temps particulier.
     Elle fait partie des trois fêtes de pèlerinage du judaïsme qui constituent la base et l’origine de nos coutumes actuelles. Pessah retrace l’histoire de l’esclavage des Hébreux en terre d’Égypte pendant 210 ans puis leur délivrance par Moïse, intermédiaire de Dieu.

    Lors de cette soirée bien particulière nous nous réunissons en famille et nous lisons l’histoire de la Hagada, livre qui relate toute l’histoire de Pessah en textes ou en chansons. Nous mangeons de la salade romaine ou des endives en souvenir de la vie amère en esclavage et des matsote, des galette de pain azyme : au moment de la sortie d’Egypte, les Hébreux partirent en hâte et n’eurent pas le temps de laisser monter leur pain.

    Je suis heureux de pouvoir m’exprimer à propos de mon vécu au travers de cette fête si particulière car elle a contribué à forger les souvenirs de mon passé, fait partie intégrante de mon présent et je sais que je la fêterai pour toujours.

    Enfant je vivais seul avec ma mère à Paris. Nous étions « juifs traditionalistes », c’est-à-dire très peu pratiquants. Les plus beaux souvenirs que j’ai du judaïsme de mon enfance sont les moments de fête autour de la grande table accueillante de ma grand-mère d’origine tunisienne, très portée sur les us et coutumes du judaïsme sépharade. C’était une merveilleuse cuisinière et pour elle, chaque Shabbat et chaque fête avait lieu  autour d’un bon repas. Pessah était le moment de l’année qu’elle attendait le plus car elle allait enfin pouvoir réunir la famille au complet. En effet, ce qui caractérise le mieux la fête de Pessah, c’est l’aspect familial. Je garde un très joyeux souvenir de ces soirées, mon oncle qui n’était pas pratiquant non plus et ne savait pas lire l’hébreu avait pour habitude de nous faire écouter une cassette audio détaillant tout le déroulement de cet instant si différent des autres. Avec du recul, c’est qu’il est interdit à Pessah comme à Shabbat, c’est notamment d’allumer la télévision ou le poste de radio. Paradoxalement, je ne peux m’empêcher de sourire en y repensant.

    Puis j’ai grandi, mûri et je me suis marié avec Eva qui elle aussi vient d’une famille parisienne juive traditionnaliste. Notre judaïsme a évolué naturellement, dans la même direction et au même rythme. Aujourd’hui, nous sommes juifs pratiquants. Nous venons de fêter Pessah dans des conditions assez particulières et loin de ce que nous avions imaginé. Nous attendions cette fête avec impatience : nous devions recevoir pour la première fois chez nous à Lausanne, en même temps, ma mère, ma belle-mère et mon beau père. Nos deux enfants étaient fous de joie. Ma femme et moi avions hâte de pouvoir organiser cette tablée, à l’image de celle de ma grand-mère. Malheureusement à cause du Covid-19 nous avons vu les aéroports, les gares et les frontières se fermer et nous avons dû mettre de côté nos rêves de passer les fêtes en famille. Difficile d’expliquer cela à mon fils de 3 ans qui avait préparé des chants à l’attention de ses grands-parents.
    Le Rabbin de la communauté de Lausanne et du canton de Vaud, Rav Eliezer Di Martino, nous a fait remarquer dans un de ses discours que la dernière fois que les juifs n’ont pas eu l’occasion de se réunir pour les fêtes de Pessah, c’était lors de la Shoah lorsqu’il fallait rester caché ou fuir loin des siens. Après les fêtes nous avons pu discuter avec d’autres membres de la communauté et nous en sommes quasiment tous arrivés à la même conclusion : nous avons pour la plupar t passé de très belles fêtes de Pessah. Comme quoi, ce qui reste fixe malgré les changements, c’est le lien avec ceux qui nous sont les plus chers. Nous avons pu nous ressourcer ensemble et découvrir une autre chose de bien différent du train-train quotidien.

    Pour finir Pessah est une fête remplie de coutumes puisées dans notre histoire. En célébrant cette fête, nous mettons en pratique ce que nos parents et aïeux voulaient nous transmettre. À Pessah, les enfants sont mis à l’honneur, ils chantent, posent des questions et cherchent l’Afikomam, un petit bout de matsa  , un pain non levé, consommé pendant Pessa'h caché sous la nappe. Les enfants sont essentiels à cette fête, c’est grâce à eux que la transmission s’effectue.

    Après ce témoignage je vous souhaite à tous une bonne santé et j’espère pouvoir vous retrouver vite à travers les différentes campagnes de « Dialogue en Route ».

    En cas de questions ou de remarques, merci de nous contacter à  blog@enroute.ch

     

  • Migration et coronavirus : même vécu pour toutes et tous ? / 21.04.2020

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  • Julien - Guide en Route
  • Julien nous propose aujourd'hui une réflexion autour du confinement que nous vivons. Alors que nos quotidiens se modifient et que la vie prend un nouveau rythme, sommes-nous en train de migrer vers un autre monde ?

    « Nous sommes tous des migrants »1. Ces mots, par lesquels Jean-Claude Métraux ouvre le deuxième chapitre de son ouvrage, focalisent l’expérience de la migration comme étant, certes spatiale, mais également temporelle. Toutefois, l’expérience de la migration ne saurait être uniquement labellisée par un caractère de changement. En effet, la particularité essentielle pour catégoriser une expérience de
    « migration » serait de quitter un monde dans lequel on vivait et on était, pour passer dans un autre monde, y entrer, et, possiblement, y être.


    Cet ouvrage, et tout particulièrement ce chapitre, m’ont inspiré un questionnement portant sur la situation actuelle : pourrait-on utiliser la migration comme métaphore du confinement ? En effet, avant ce dernier, nous appartenions toutes et tous à un monde. Nous suivions des études, travaillions, allions voir des films, voyions nos amis ou encore réalisions des projets. Avec la décision émise par le Conseil Fédéral du vendredi 13 mars dernier d’imposer un confinement aux habitants, un premier processus s’est enclenché : nous quittions un monde. Ce choix de santé public a eu des effets divers et variés que cela soit des pertes de postes de travail, cours suspendus pour les uns, donnés dans des conditions questionnables pour d’autres, fermeture des lieux de culture et de spectacle, précarisation de populations déjà vulnérables, etc. Mais le constat est inévitable, nous passions dans un autre monde.


    Y entrer, n’est pas forcément une chose aisée. Pour certaines et certains, plusieurs semaines voire plusieurs mois seront nécessaires pour s’habituer à cette situation, que cela soit parce que le travail à distance est impossible ou parce que le changement soudain nous force à s’organiser de nouveaux rythmes de vie. Pour d’autres, le travail reste modifié que de manière sensible, le télétravail étant une situation envisagée et envisageable, qui permet de garder un lien sensible avec le monde précédent. Mais le travail n’est pas la seule sphère touchée : comment participer à un office religieux quand les églises, mosquées ou temples ferment ? Comment donner des cours de langues ? Comment continuer à recevoir les informations de son assistant social ? Des multiples initiatives numériques sont mises en place et tentent de construire une nouvelle manière de créer et conserver les liens interindividuels, citons par exemple la messe du Pape François 1er du jeudi 9 avril. A ce moment précis, pourrait-on parler d’un vivre dans cet autre monde ? Le recours aux nouvelles technologies est-il une possibilité pour soi-même d’exister dans cette « migration forcée » ? Sans aucun doute, la souffrance psychologique et sociale se développe de manière inégale dans cette nouvelle situation et les bouleversements sociaux, économiques, politiques et sanitaires n’affectent pas les individus de la même façon. Certains possèdent les capitaux socio-économiques suffisants pour pouvoir parfaire et construire son chemin plus sereinement dans ce cadre particulier, d’autres se retrouveront face à certains obstacles et difficultés qui entraveront le passage à l’étape finale : celle d’être de cet autre monde.


    Les réfugié.e.s, les étudiant.e.s, les infirmier.ère.s, les caissier.ère.s, les sans-abri.e.s, les cols blancs, les hommes et femmes de ménages, les artistes, les personnes âgées, toutes ces catégories d’individus, que cela soit en fonction de leur âge, sexe, travail ou encore de leur origine ethnique ne sont pas égaux face à cette nouvelle situation, et la possibilité d’être de ce nouveau monde dépendra de la possibilité de reconnaître et respecter la situation de chacun et de co-construire en fonction de celle-ci.


    1 MÉTRAUX, Jean-Claude, La migration comme métaphore, La dispute, Paris, 2017 [2011], p. 50

    En cas de questions ou de remarques, merci de nous contacter à  blog@enroute.ch

     

    Photo: BigStock

     

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  • Et si on pensait l'intégration ? Semaine contre le racisme 14 - 21 mars / 21.03.2020

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  • Lia - Guide en Route
  • Dans le cadre de la semaine contre le racisme à Fribourg, deux visites étaient inscrites au programme d’Espace Mouslima cette semaine. Situation actuelle l’oblige, ces dernières ont dû être annulées. Ayant accompagné des visites de ce lieu, je vous convie à une petite exploration imaginaire...

    Dans le cadre de la semaine contre le racisme à Fribourg, deux visites étaient inscrites au programme d’Espace Mouslima cette semaine. Situation actuelle l’oblige, ces dernières ont dû être annulées. Ayant accompagné des visites de ce lieu, je vous convie à une petite exploration imaginaire, faisant appel à votre créativité, du programme proposé par l’association de femmes musulmanes dans le cadre du projet « Dialogue en Route ». Ainsi, au-travers de ces quelques lignes, je vous fais part de réflexions qui, croyez-moi, contrairement au virus circulant, peuvent faire grand bien à l’organisme.

    La station nous invite à interroger le concept d’intégration, mot valise à la mode qui pourtant mérite d’être encore et toujours discuté. Alors qu’on le pense trop souvent réservé aux personnes issues de la migration, l’Espace Mouslima, au travers des activités proposées, tente de nous rappeler une réalité différente : l’intégration touche chacun d’entre nous, en permanence. Alors que l’intégration met en lumière nos différences, on la considère comme réussie lorsqu’un terrain commun a été trouvé :  ainsi, elle est inévitablement génératrice d’une rencontre et une discussion. Il est vrai que la différence soulève des défis, confronte et repousse les frontières de nos cocons : chaque individu, au cours de son existence, doit se faire une place dans des constellations complexes. Chacun de nous négocions et réinventons sans cesse nos statuts ou nos rôles. Expérience commune à nous autres êtres humains, le processus d’intégration prend des formes variées et nécessite la mise en place de stratégies. L’intégration pousse à penser le monde et les autres, mais aussi soi-même, nos habitudes, conceptions et certitudes. Que pouvons-nous faire pour accueillir le dernier arrivant ? Que pouvons-nous faire pour revendiquer notre place dans un cercle établi ? Dans ce parcours qu’est l’intégration, nous pouvons également nous demander quels sont les critères, le moment ou les personnes qui déterminent une intégration « réussie ». Qui sont ces autorités ? Quels intérêts se cachent, qu’est-ce qui est défendu ?

    Cette station offre un lieu et un temps pour réfléchir à nos expériences, à nos comportements, réussites et échecs mais également à la discrimination, souvent ignorée ou dissimulée. Miriam, présidente de l’association, nous rappelle notre potentiel individuel et met en lumière le rôle essentiel que peuvent jouer des associations comme Espace Mouslima : celui notamment de soutenir et d’accompagner dans les tâches quotidiennes. Il est précieux et nécessaire d’avoir comme ressource des interlocuteurs pouvant expliquer, montrer ou soutenir mais qui également s’engagent pour faire perdurer des traditions ou des rituels menacés par le fait de se retrouver minoritaire. Elle nous demande encore si la religion est facteur ou obstacle à l’intégration : ainsi, par exemple, quels sont les défis rencontrés par un jeune musulman souhaitant pratiquer sa religion au quotidien tout en participant au système scolaire ? Comment gérer le moment de la douche, peut-on faire la gym pendant le ramadan, quel maillot de bain pour les filles à la piscine, que faire comme bricolage à Noël ?

    Ces interactions humaines bousculent et défient, nos conceptions et règles, leurs conceptions et règles. Au final, dans ce processus qu’est l’intégration, l’important ne serait-ce pas davantage le cœur que la forme ? En tout cas, en ces jours particuliers, la forme, je vous la souhaite bonne.

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  • La communauté de Taizé : un espace de rencontres œcuménique / 27.07.2019

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  • Leslie - Guide en Route
  • Avez-vous déjà entendu parler de Taizé ? Non pas Thésée et le minotaure… Mais la communauté monastique des frères de Taizé. Imaginez un peu : un petit village rural de Bourgogne, des vaches paissant paisiblement dans de verts pâturages, de vieilles maisons de pierre pleines de charme, et au milieu de ce décor pittoresque… Plusieurs milliers de jeunes du monde entier qui se sont rassemblés pour le long week-end de l’Ascension. Telle est l’image qui m’est apparue lorsque je m’y suis rendue ce printemps. Depuis sa fondation par frère Roger (un religieux suisse) en 1940, en pleine guerre mondiale, la ...

    Une vocation œcuménique

    Pour creuser la question, je me suis demandé ce qui différencie Taizé des autres communautés monastiques. Dès les débuts, les frères de Taizé ont valorisé une vision très inclusive du christianisme : on y accueille en effet autant des catholiques que des protestants, et même des orthodoxes. Ici, l’accent est mis sur ce qui unit plutôt que sur ce qui divise ; sur une spiritualité de cœur et des valeurs humaines plutôt que sur des dogmes normatifs qui enferment. La fameuse « croix » de Taizé peut d’ailleurs tout autant être considérée comme une colombe. Étonnant, non ? Les trois célébrations quotidiennes, qui rythment nos journées à Taizé, incarnent cette vision : des personnes assises à même le sol, des chants répétitifs et méditatifs, des prières pour la paix et l’unité, des temps de silence, et la beauté des langues qui se mélangent au moment de réciter le Notre-Père… Une simplicité qui permet un retour à l’essentiel.


    Un dévouement pour l’accueil des jeunes

    Autre particularité : le public-cible de Taizé est principalement constitué d’adolescents et de jeunes adultes entre 18 et 35 ans. Qui a dit que les jeunes se désintéressaient de la religion ?! À Taizé, on a rapidement compris que l’avenir repose sur leurs épaules, alors ce sont eux qui sont mis au centre : leurs opinions, leurs questionnements, leurs besoins. Qu’ils soient eux-mêmes croyants, athées ou en recherche, tous semblent apprécier cette ambiance propre à Taizé. On y fait de belles rencontres qui se transforment parfois en amitiés durables, on partage nos préoccupations avec d’autres jeunes de notre âge dans des petits groupes de discussion, on s’accorde une pause ressourçante loin des tracas quotidiens dans cet écrin de nature. À mi-chemin entre retraite spirituelle et camp de vacances, Taizé possède une atmosphère indescriptible qui vient satisfaire les attentes de chacun-e. Beaucoup, comme moi, y reviennent d’ailleurs régulièrement, comme pour une sorte de pèlerinage. Un « pèlerinage de confiance sur la terre », selon les mots utilisés à Taizé, que nous sommes toutes et tous appelé-e-s à continuer même une fois de retour à la maison, en nous engageant à notre échelle pour faire de ce monde un lieu de paix et de fraternité.


    Curieux-se ? Jetez un œil sur leur site http://www.taize.fr/fr. Des prières de Taizé sont régulièrement organisées un peu partout, y compris en Suisse. Une rencontre avec des frères de la communauté a également lieu chaque année début novembre à la cathédrale de Lausanne.

  • Rencontres d'ailleurs et amitiés d'ici (2) / 03.03.2019

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  • Anne - Guide en Route
  • Les cours, les repas et les sorties sont à présents ancrés dans mon quotidien. Entre apprentissage succinct et laborieux du Dari, ainsi que l'expérience de la gay pride, voici la suite de ces touchantes rencontres.

    11 avril 2016, Ma première séance de Dari

    Les cours se succédaient ainsi semaines après semaines, et étaient souvent prolongées par un verre entre quelques personnes, restant aider à nettoyer la salle, ou bavarder. On parle beaucoup lors de ces verres, des études, du pourquoi de leur arrivée en Suisse, de nos cultures et de la langue afghane : le dari. Si on commençait gentiment à se connaître, la langue restait une barrière pour exprimer certaines choses. Apprendre des mots en dari a donc été pour moi un autre moyen de découvrir cette culture, avec ses personnalités bien diverses. Entre des « Khoodor Hafiz » (au revoir), « tashakoor » (merci), «Shab Bakhair » (bonne nuit »), ou « Khoosh amadi » (bienvenue), on avait créé un troisième langage : celui de la fraternisation.

    Juin 2016, des soirées universitaires à la gay pride : une période mémorable

    Cette période marque le début d’amitiés, de sorties entre amis et de découvertes. On se retrouvait tous à des fêtes universitaires, où la musique afghane côtoyait de traditionnelles  chansons indoues, arabes, iraniennes, ou françaises (un de nos élèves connaissait par cœur les grands tubes de Joe Dassin !). C’est aussi à cette période que des discussions plus intimes se sont développées. On mentionne les différences de cultures, les points communs aussi. Le thème de la religion et particulièrement la religion musulmane est aussi évoquée, mais si la majorité des Afghans sont musulmans, leur vécu de la religion est parfois bien différent. Un de nos Afghans (c’est comme cela qu’on les appelle), disait avoir critiqué la religion dans son pays et depuis longtemps mis de côté ses croyances, un autre expliquait ses différentes manières de pratiquer en Suisse et en Afghanistan, alors qu’un troisième racontait l’importance de la religion dans la vie de tous les jours, et dans l’élaboration de ses valeurs. En soi, on discutait avec des gens d’autres cultures mais toujours autant divers et uniques que le reste du monde.

    Je me souviens bien de cette soirée du 27 juin durant laquelle, après avoir soupé ensemble, nous décidons de faire un tour aux concerts et animations de la gay pride. J’y suis allée une fois, une fille de notre groupe également, mais c’est tout. On leur explique clairement de quoi il s’agit et ils sont partant pour venir avec nous. On se demande tout de même s’ils ont conscience de sur quoi ils vont tomber, les premières réactions ne tardent d’ailleurs pas à arriver. Dans cette atmosphère qui leur est inconnue, et à une bonne partie de notre groupe également, les grands yeux et la curiosité se font ressentir. Si tout le monde n’est pas tout de suite à l’aise avec les habillements, les danses et les accolades, cette soirée s’est clôturée par des discussions, des rires et une ambiance détendue : le petit malaise du début s’étant dissipé lorsque deux de nos Afghans se sont tenus la main en imitant un couple ! J’ai beaucoup aimé ce moment car il reflète une nouvelle fois la base de nos rencontres : emplies de curiosité et de non-jugement.

    Suite et fin au prochain épisode…

  • Le Myanmar / 15.02.2019

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  • Romaine - Guide en Route
  • Découverte du Myanmar par Romaine

    Ce mois-ci, j’ai le plaisir de vous faire découvrir une petite partie de mon voyage en Asie du Sud-Est.  J’ai choisi le Myanmar (ex Birmanie), pays où je n’avais pas l’intention de me rendre.

    En effet, l’histoire de cette contrée est difficile, tourmentée et, à l’heure actuelle encore, toujours instable. Un conflit civil et politique s’y déroule. Le gouvernement militaire birman, de confession bouddhiste, à la tête du pays, persécute les Rohingyas, une minorité musulmane. C’est pourquoi, ma conscience me dictait de ne pas m’y rendre, de crainte de soutenir, d’une certaine manière, le génocide qui y était perpétré.

    Certaines de mes connaissances, qui s’y étaient rendues, m’ont intriguée par leurs descriptions du pays. Raison pour laquelle, je me suis décidée à y aller. J’ai donc commandé un visa.

    J’attendais de ce tour en Asie un dépaysement total, un retour à l’authenticité et un détachement psychologique du monde « développé ». Le Myanmar, particulièrement, a comblé mes attentes.

    Le samedi 11 mars 2018, je suis arrivée à Yangon, l’ancienne capitale du Myanmar. Le bonheur ! Cette ville est très grande, il y en a pour tous les goûts. La culture indienne, si présente, m’a particulièrement frappée.

    Le lendemain, j’ai dégusté mon premier petit déjeuner birman, le « Mohinga ». C’est une soupe de poisson et de vermicelles, un vrai délice ! Sur la table d’à côté, j’ai trouvé le journal   local, version anglaise. J’y ai jeté un coup d’œil : peu d’informations locales et, bien évidemment, aucun mot sur le conflit civil.

    Par la suite, j’ai eu la chance de me lier d’amitié avec trois birmans de mon âge. Je me sentais en confiance avec eux, ce qui m’a permis de leur demander ce qu’ils pensaient de la situation politique de leur pays. Ils m’ont parlé discrètement car ils craignaient que leurs propos ne soient entendus par une personne malveillante. Ils sont en désaccord profond avec la junte militaire qui dirige le pays. En effet, ils ne sont pas autorisés à dire ou faire ce qu’ils veulent. Mon amie birmane, Narnu, m’a fait comprendre que les touristes apportent un air frais, voire une sécurité. C’est pourquoi, le gouvernement militaire ne souhaite pas qu’ils découvrent les atrocités commises à l’égard des Rohingyas.

    Après trois semaines passées au Myanmar, je constate que, bien que de manière ambiguë, on peut considérer que le tourisme crée du travail et apporte des devises, bien qu’il soit à craindre que ces dernières aboutissent dans la poche de dirigeants véreux.

    Ceci dit, les hôtes étrangers, par leur amour du pays et de sa culture, rendent les birmans fiers de leur pays. Et, croyez-moi, ils adorent ça !

  • Rencontres d’ailleurs et amitiés d’ici / 06.01.2019

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  • Anne - Guide en Route
  • En 2016, je me rends par curiosité à un souper afghan organisé par l'aumônerie de l'université : c'est la rencontre de personnes extraordinaires qui me restera en mémoire.

    Mars 2016, Mon premier souper afghan

    Sortant d’un cours un soir du mois de mars vers 17h, je décide de participer pour la première fois à un souper afghan organisé par l’aumônerie. Il fait bon, les gens sont nombreux à être venus aider en cuisine, et à servir en terrasse. Sans réellement avoir de motivations précises à ce moment-là, je lance un coup d’œil furtif autour de moi, et suis instantanément propulsée dans un brassage de langues, de cultures, de générations et de personnalités diverses. C’est d’abord une rencontre entre étudiants qui s’est faite spontanément, pour la plupart poussés par la curiosité de découvertes de saveurs et machinalement arrivés au souper après un cours ou une discussion. Puis, trois personnes s’approchent de notre petit groupe fraîchement formé, trois hommes qui nous demandent s’il serait possible de créer un cours de français, car ils ont l’impression de ne pas apprendre assez vite. Nous échangeons quelques mots maladroits et hésitants en essayant chacun de trouver le bon terme sans vraiment savoir si la personne en face l’a bien compris ou non. Si la cuisine afghane m’a comblée lors de ce souper, c’est surtout la tête pleine de nouveautés et d’éclats de rire que je rentrais chez moi, en attendant une seule chose : de recommencer !

     

    Avril 2016, Cours de français improvisés et apéros : le Moscato est à l’honneur !

    Notre petit groupe d’étudiants motivés à donner des cours bénévolement compte environ six personnes et s’arrange tant bien que mal à enseigner la grammaire française et à imaginer des exercices tenant la route. A notre premier cours (comme aux suivants) une vingtaine de personnes, tous des afghans et tous des hommes dont beaucoup de visages entrevus au premier souper. Comment je vais pouvoir tenir un cours avec mon mètre cinquante et ma petite voix de souris ? Est-ce qu’ils vont m’écouter ? Rigoler ? En effet, le rire était bien à l’honneur mais ce n’a jamais été que la transposition d’un enthousiasme commun, m’envoûtant dès la première fois où j’ai énoncé la déclinaison des verbes du premier groupe. Ces premiers moments de rencontre n’avaient pas encore la forme de grandes discussions philosophiques, mais étaient entremêlés de sérieux, de rires et d’apéros qu’on organisait à la fin de chaque cours. En sachant que la plupart des Afghans présents étaient musulmans et ne buvaient pas d’alcool, nous mélangions jus de fruits, boissons gazeuses et petits salés, tout en s’octroyant une petite bouteille de moscato que nous dégustions entre profs. Jusqu’au jour où nous sommes arrivés dans la salle de cours où trônaient déjà les jus de fruits, boissons gazeuses et petits salés, accompagnés bien sûr de notre chère bouteille de moscato ! Ca été je pense le premier moment véritablement émouvant, où sans avoir besoin de discuter profondément, les petits gestes de chacun envers les autres ont contribué à former une équipe soudée, et surtout des amitiés. Des cadeaux ils nous en font d’ailleurs souvent, des verres, des petites attentions ou encore ce déjeuner organisé chez une des profs où l’on a découvert leur plaisir du matin : des tartines à la crème double de la gruyère ! Pour beaucoup de nos élèves et amis, partager est le maître – mot. Si on leur donne des cours de français, eux se sentent non pas obligés mais très heureux de nous offrir quelque chose en retour. Ce partage continu qui s’est développé au fil des mois est un élément essentiel de ces rencontres : il a permis de nous pousser chacun à se mettre à la place de l’autre, et donc à entretenir des amitiés.

     

    Suite au prochain numéro

  • Une fête sous le signe de la famille / 14.10.2018

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  • Patricia - Guide en Route
  • Les recettes d’un Nouvel An Chinois

    Le Nouvel An Chinois est une fête qui concerne des signes astrologiques représentant des animaux dont l’ordre d’apparition, d’année en année, peut être difficile à retenir. Cependant, pour moi, un signe qui ne trompe pas, c’est que cette fête revêt un sens profondément familial. Cette fête me vient de mes parents, qui eux-mêmes ont reçu cette célébration de leurs propres parents chinois, même s’ils vivaient au Cambodge. Le Nouvel An Chinois connaît certaines variations, selon quel pays asiatique qui le célèbre, mais ma façon de le fêter a toujours été la même.

    Le Nouvel An Chinois, chez moi, ce sont des couleurs, des odeurs et de la douceur. Le jour du Nouvel An, même s’il n’est pas obligatoire, ma famille a pris l’habitude de s’habiller en rouge. Le rouge porte bonheur, comme mes parents aiment à nous le répéter, à mon frère, mes sœurs et moi. Puis au fil de la journée, la maison s’emplit de délicieuses odeurs. Tôt le matin, ma mère prépare tous les plats. En grandissant, mes sœurs et moi avons aussi mis les mains à la pâte. Le menu n’est jamais identique à 100% d’année en année, mais on retrouve d’incontournables plats – frits, cuits, bouillis, rôtis, tout se prépare avec diligence.

    Depuis toute petite, l’image de ma mère s’affairant aux fourneaux m’accompagne : cette journée étant particulière, elle ne quitte presque pas la cuisine. Petite, je ne pensais qu’au plaisir de manger ces plats. En grandissant, j’ai appris à plus apprécier le privilège de les cuisiner aux côtés de ma mère qui me transmet ainsi sa façon de fêter le Nouvel An Chinois entre deux coups de baguette, tout en saisissant avec davantage d’acuité l’importance que revêtent ces nombreuses préparations au sein de cette célébration.  

     

    Une table pour se réunir et des prières pour communiquer des vivants aux morts

    Quand les plats tout chauds sont prêts à sortir des fourneaux, mon père dresse la table sur laquelle sont déposées deux bougies allumées. Puis la valse des plats débute : un panier de fruits dans un coin, le poulet d’un côté et le canard de l’autre, les légumes dans leurs bols, les beignets sur leurs assiettes – tout est disposé avec grand soin, avec le couvercle de la cocotte de riz entrouvert. À travers toute cette disposition, il s’agit d’accueillir les ancêtres morts dans notre foyer : ils sont de cette façon cordialement invités à partager le repas avec nous, les vivants.

    Cette communication passe également par des prières intérieures et silencieuses. D’abord, on prie agenouillé et les mains jointes, devant la table, puis devant les bols de fruits disposés au sol, toujours entourés de bougies allumées. Un bol est placé non loin de la table, il s’agit de prier la terre, tandis qu’un second se trouve vers le balcon – parfois, il était disposé dehors, directement au balcon – où il s’agit de prier le ciel. Mes parents prient en chinois. Mon frère, mes sœurs et moi, nous prions en français. Mais qu’importe la langue dans laquelle nous prions, ces prières nous rattachent à nos origines, à nos ancêtres et aux grands-parents que nous, les enfants, n’avons pas pu connaître et auxquels mes parents rendent hommage en allumant de l’encens.

     

    Le souhait d’une bonne fortune : être en famille

    À la suite des prières, mes parents soulèvent un à un les plats, afin de s’assurer que les ancêtres aient pu se servir. Puis on s’assied autour de la table pour manger tous ensemble. Car au cœur de Nouvel An Chinois se trouve la réunion familiale. C’est ce sens de la réunion, de l’amour familial, auquel je suis particulièrement attachée qui m’a toujours profondément touchée. Cette fête permet de raviver les liens familiaux et, par la réunion, d’apprécier la chance d’être ensemble. C’est un moment doux où vivants et morts peuvent se retrouver. Le Nouvel An Chinois représente ainsi la douceur d’être en famille ; c’est en tout cas le sens profond que j’en garde.

    Après le repas, mes parents nous donnent une pochette rouge et dorée, dans laquelle ils ont placé des billets d’argent. De l’argent, certes, mais il n’y a pas valeur monétaire à mon avis, dans cet échange. Cette « transmission » est leur façon de nous souhaiter – à nous, leurs enfants, qui représentons la génération future – une bonne « fortune » dans notre avenir. Ainsi, mes parents placent leurs espérances et leurs bons vœux à l’intérieur de cette pochette, nous incitant à ne pas les décevoir, ni à nous décevoir.

    Au final, le Nouvel An Chinois est pour moi beaucoup de nourritures, des prières qui réunissent des familles et une pochette rouge et dorée, qui souhaite un avenir heureux ensemble.