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25.04.2022

Compte rendu de la table ronde « Les minorités en islam : chrétiens, juifs, femmes savantes et hérésies » dans le cadre du festival Histoire & Cité

L’islam est aujourd’hui régulièrement au cœur des discussions sociétales. Les mêmes sujets reviennent encore et encore sur la place publique concernant les nombreuses controverses que l’on connait à cette religion. Mais qu’en est-il des sujets dont personne ne parle ? Une conférence, qui s’est tenue le 2 avril 2022 à Lausanne dans le cadre du festival Histoire & Cité, avait pour objectif de mettre en lumière les « invisibles » de cette religion. Les intervenants, Blain Auer, Amir Dziri, Wissam Halawi et David Hamidovic ont, chacun à leur tour, voulu mettre en avant quelques minorités qui ont influencé l’histoire de l’islam.

David Hamidovic a commencé par faire un bref résumé de l’influence des juif·ve·s sur l’islam. Pour ce faire, il a mis en lumière les liens très étroits des deux religions. En effet, le Coran parle maintes fois des israélien·ne·s et des juif·ve·s. Vers le 10-11ème siècle, musulman·e·s et juif·ve·s étaient souvent confronté·e·s les un·e·s aux autres, ce qui n’a guère engendré d’acculturation mais un transfert de culture, des échanges et négociations. David Hamidovic a fini par donner l’exemple des karaïtes, un courant du judaïsme fondé sur la Bible hébraïque et rejetant la loi orale, s’opposant de ce fait aux rabbanites. Les karaïtes ont établi un dialogue avec les musulman·e·s pour leur demander une protection vers le 10ème siècle. Ils·elles se sont installé·e·s dès lors en Égypte, cohabitant avec les musulman·e·s, et à Constantinople.

Wissam Halawi a continué l’exposé en se rapprochant du point de vue chrétien. Il a commencé par rappeler que les chrétien·ne·s étaient, globalement, dans une situation précaire. Bien que l’on pourrait croire que leur précarité était due à une distribution inégale des richesses qui favorisait les musulman·e·s, en réalité certain·e·s musulman·e·s étaient, eux·elles aussi, tout autant pauvres. La pauvreté ne serait donc pas corrélée au christianisme mais plutôt aux chances de naître dans une famille plus ou moins aisée. Il a rappelé ensuite que la médecine arabe, bien connue de nos jours, avait comme premiers docteurs les chrétiens arabes. Ces derniers ont traduit les livres de Gallien, un médecin grec renommé du 2ème siècle après J.-C qui a laissé derrière lui des écrits sur la médecine d’une grande modernité pour l’époque, et ont transmis le savoir qu’ils renfermaient. Les chrétien·ne·s avaient le statut de « dhimmi » - terme qui désignait les citoyens non-musulmans dans un État musulman. De par ce statut, ils·elles étaient reconnu·e·s comme juridiquement inférieur·e·s dans le pacte d’Umar, un traité passé entre le calife Umar et les monothéistes non musulman·e·s en l’an 717. De nombreuses discriminations y figuraient telles que l’interdiction de construire de nouveaux édifices ou encore l’obligation de porter un signe distinctif. Ils·elles étaient en contrepartie protégé·e·s par les musulman·e·s.

Blain Auer nous a parlé de la communauté musulmane Ahmadiyya qui trouve ses origines en Inde à la fin du 19ème siècle. La principale mésentente entre cette communauté et les musulman·e·s chiites et sunnites repose sur la croyance au Messie Mirza Ghulam Ahmad qui prétendait être un guide pour les musulman·e·s. Le Pakistan reconnaissant ce courant comme une hérésie, a décidé de punir quiconque prétendait être Ahmadi tout en étant musulman·e·. Aujourd’hui cette communauté compte entre 10 et 20 millions de fidèles dans le monde et détient la première mosquée construite en Suisse. Elle est située à Zürich. L’Ahmadisme n’est pas reconnu comme un courant de l’islam par la plupart des musulmans.

Enfin, Amir Dziri nous a parlé du rôle des femmes au début de l’islam. A l’époque du Prophète Muhammad, ses femmes partageaient plus de temps avec lui et avaient une durée de vie plus longue que les hommes, ce qui leur donnait un grand avantage pour enseigner l’islam après la mort du Prophète. Mais le temps passant, les femmes ont perdu leur rôle de transmettrices et interprètes. La femme était vue comme séductrice et incapable de gérer les questions religieuses. En effet, la société patriarcale prenant le dessus, les femmes sont restées à la maison tandis que les hommes enseignaient et apprenaient en voyageant. Aujourd’hui cependant, quelques voix féminines se soulèvent afin de réclamer leur place dans le domaine de la connaissance religieuse. Nous ne pouvons qu’espérer que ces voix soient suffisamment fortes.

L’influence que portent certaines minorités n’est donc pas toujours visible sur le moment. C’est lorsque l’on regarde rétrospectivement le chemin parcouru que l’on parvient à mettre en place toutes les pièces du puzzle. Certaines sont plus grosses que d’autres mais sans les petites, le puzzle serait incomplet.

L’Histoire nous enseigne de multiples leçons que l’on peut retenir mais l’humain a parfois simplement décidé de se focaliser sur les grandes lignes en ignorant, voire niant, le rôle historique des minorités ethniques, de genre ou religieuses.  


Image : Mosquée de Mahmud à Zürich. Cette mosquée, construite en 1962 par la communauté Ahmadiyya, est la première mosquée construite en Suisse. Source : https://ahmadiyyatmosques.files.wordpress.com/2017/11/mahmud-mosque-zurich-13.jpg