15.09.2020

Le Ramadan au temps du confinement

Le Ramadan est un moment d’intensification de la vie sociale pour les Musulman·e·s : les repas nocturnes sont pris en commun, avec la famille et les ami·e·s. L’Aïd al-Fitr (la fête qui marque la fin du mois de Ramadan et la fin du jeûne) est un des moments par excellence de la vie collective musulmane.

Emile : Comment les membres de votre communauté ont vécu ce mois de Ramadan en « solitaire » ?

M. Khoshideh : Le confinement a eu des avantages et des désavantages. D’un côté, il n’y a pas eu de contacts possibles, à part au travers des réseaux sociaux, mais de l’autre côté, cela a été l’occasion pour moi et beaucoup d’autres personnes, de se retrouver en famille. Pour les responsables des centres islamiques, qui sont très actif·ve·s durant ce mois, il est rare qu’ielles vivent la rupture du jeûne tous les soirs avec leur famille.
Un autre avantage a été le fait de pouvoir choisir les orateurs et les sujets que nous désirions écouter. D’habitude, quand nous invitons un imam ou un orateur, il choisit le thème de son discours. Là, nous pouvions choisir qui nous voulions écouter, et beaucoup de vidéos d’orateurs ont été partagées sur les réseaux sociaux.
 Mais le côté social du Ramadan, la prise des repas en commun, les visites aux ami·e·s, cela nous a vraiment manqué. Cela m’a rappelé les mois de Ramadan que j’ai vécus dans les années 80 : je venais d’arriver en Suisse, et il n’y avait alors que très peu de Musulman·e·s avec qui partager ces moments.
Il y a cependant un aspect du Ramadan que la pandémie ne nous a pas empêché de réaliser, c’est notre action sociale (l’aumône est un précepte coranique, et doit être plus importante durant le Ramadan). Nous avons envoyé des aumônes en Iran, en Afghanistan, ou offert de la viande pour les migrant·e·s précaires qui ne pouvait pas s’en acheter.


Comment le lien dans la communauté a-t-il néanmoins pu être gardé ?


Il faut d’abord savoir que les journées sont très longues en été, et que le jeûne amène une grande fatigue physique : quand nous nous retrouvions les années précédentes le soir, nous priions ensemble, mais il n’y avait pas beaucoup d’échanges, à cause de la fatigue. Cette année, au travers des réseaux sociaux, les échanges étaient plus conviviaux car nous avions plus de temps, et nous pouvions choisir avec qui discuter. Dans une mosquée, il y a beaucoup de fréquentation, nous savons qui sont les personnes qui fréquentent notre centre mais les connaître est une autre chose.  Cette année, nous avons pu apprendre à mieux nous connaître.


Dans d’autres communautés religieuses, des technologies de communication (comme Skype, Zoom) ou des enregistrements vidéo ont été utilisés pour que les offices religieux, les prières, continuent à se faire à distance. En a-t-il été de même pour votre communauté ?


Je l’ai proposé, mais il n’y a pas eu beaucoup d’intérêt. Il faut savoir que la majeure partie des membres sont actuellement des migrant·e·s afghan·e·s, et ielles n’ont pas l’habitude des vidéoconférences. De plus, ces technologies ne correspondent pas aux coutumes traditionnelles de la communauté et c’est quelque chose qui est très important pour nous. Il va quand même peut-être falloir s’adapter dans le futur, pour la fête de l’Achoura (commémorant le martyr de l’imam Hussein) et nous n’avons pas encore déterminé si la cérémonie aura lieu dans une salle, comme à notre habitude, ou si nous ne commémorerons que sur les réseaux sociaux. Il y a encore beaucoup de contaminations à Genève, et la valeur de la vie est si grande dans le Coran qu’il n’est pas question que notre cérémonie devienne un foyer de contamination.


Des journaux décrivaient ce mois de Ramadan 1441/2020 comme « moins joyeux, mais plus spirituel ». Qu’en pensez-vous ?


Tout à fait. Quand nous sommes dans une mosquée, à une cérémonie, nous nous trouvons dans un lieu spirituel, mais les gens restent les gens, avec leurs qualités et leurs défauts. Nous voyons des choses que l’on ne s’attend pas à voir dans une cérémonie spirituelle, et qui dérangent. Quand on est tout seul, le côté spirituel est beaucoup plus fort, et c’est un bon exercice de combattre tout seul ses envies et son égoïsme, avant d’affronter les obstacles dans la société. Comme le Prophète l’a dit, c’est un petit djihad en nous, avant de pouvoir servir la société (le terme djihad désigne également l’effort personnel fourni par les croyant·e·s pour s’améliorer et lutter contre leurs mauvais côtés).


Ce mois du Ramadan était aussi un mois de réflexion. Qui aurait pensé qu’un virus invisible changerait le monde ?

Nous devons réfléchir à nos habitudes qui ont détruit beaucoup des ressources naturelles que Dieu nous a données. Pendant deux mois, la nature a pris ses droits et nous devons tirer des leçons de cette crise. L’humanité ne doit pas répéter les erreurs qu’elle a commises depuis des décennies.
Pour finir, j’ai une pensée pour toutes les personnes qui ont perdu la vie cette année, ainsi que pour leur famille.