20.06.2022

Minorité religieuse rime-t-elle toujours avec discrimination ?

L’appartenance religieuse peut être un élément de rejet et de discrimination, qui va parfois jusqu’à s’institutionaliser, comme le montrent par exemple les votations contre la construction des minarets ou le port de la burqa en Suisse. Ces votations exemplifient bien l’islamophobie qui peut exister en Suisse et la discrimination sur la base de la religion. Alors que l’islam est souvent au centre des débats sur l’intégration, que le ou la musulman·e converti·e est parfois perçu·e comme un·e « traître·sse », qu’il est difficile pour les femmes musulmanes d’avoir un accès serein à l’espace public, qu’en est-il du vécu d’autres minorités religieuses en Suisse ? J’ai voulu questionner Jean-Paul Gloor, notre partenaire du Centre bouddhiste tibétain Gendun Drupa à propos de son vécu en tant que membre d’une communauté minoritaire (0,5% de bouddhistes résidant en Suisse en 2020 selon l’OFS[1]). Lors d’un entretien, je lui ai demandé comment il vivait son rapport aux autres en faisant partie d’une minorité religieuse. Vit-il lui aussi de la discrimination, ou de la méfiance, en raison de son appartenance religieuse ? Comment perçoit-il le regard que les autres portent sur lui et sa communauté ? Il est important de noter que Jean-Paul Gloor est un homme suisse, converti au bouddhisme, il n’est donc pas perçu de premier abord comme un étranger. Étant un bouddhiste laïc, il ne porte pas non plus de signe distinctif qui signifierait son appartenance religieuse.

Jean-Paul semble être d’accord avec moi sur le fait que le bouddhisme bénéfice d’une meilleure réputation que d’autres minorités religieuses en Suisse, ce qui le désole profondément. Je lui ai donc demandé son avis sur les raisons de cette réputation. En tant que membre de la communauté, Jean-Paul met en avant le message véhiculé par sa religion. Selon lui, cette image positive du bouddhisme repose d’une part sur le message de non-violence prôné par le Dalaï Lama et d’autre part, sur une forme d’universalisme : « Sa Sainteté le Dalaï Lama met beaucoup en avant les valeurs communes à toutes les traditions plutôt que ce qui nous différencie. » dit-il. En tant que personne extérieure à la communauté, j’y vois - en plus du message évoqué par Jean-Paul qui semble convainquant – la longue évolution du cours de l’histoire et des rapports entre « Orient » et « Occident » qui se sont construits avec une forme d’idéalisation des spiritualités orientales et une fascination des Occidentaux·ales pour le bouddhisme (et l’hindouisme), en particulier dans les nouveaux mouvements religieux, en vogue à partir des années 70 aux États-Unis puis en Europe. En effet, les concepts de chakras, de karma, de réincarnation ou encore la figure du Bouddha nous paraissent plutôt familiers tant ils ont été intégrés dans le langage et les croyances locales.

Malgré la réception globalement positive du bouddhisme en Suisse, lorsque le Centre Gendun Drupa a ouvert ses portes à Martigny en 2008 la communauté a dû faire face à une certaine méfiance de la part de la population locale. En effet, les suicides et assassinats collectifs de l’Ordre du Temple Solaire à Salvan (VS) et Cheiry (FR) en 1994 marquaient encore les esprits. Selon Jean-Paul Gloor, l’usage courant du terme de « gourou »[2] dans le bouddhisme renvoyait à l’imaginaire de la « secte » et faisait écho avec l’histoire régionale de ces dérives sectaires qui avaient tourné au drame. Afin de désamorcer cette méfiance, la communauté du Centre Gendun Drupa a tenu à s’impliquer dans la vie de la ville de Martigny, notamment lors d’événements organisés en collaboration avec les paroisses chrétiennes, ou le festival des 5 continents par exemple. Elle s’est aussi investie dans la Plateforme Interreligieuse Valais (PIV) ou a encore organisé des journées portes ouvertes au Centre.

De manière générale, les membres du Centre Gendun Drupa de Martigny suscitent curiosité et sympathie, plutôt que méfiance et rejet. Faire partie d’une minorité n’implique pas nécessairement de la discrimination, mais souvent de la méconnaissance. Il est vrai que les bouddhistes semblent bénéficier en Suisse de stéréotypes positifs qui découlent d’une histoire longue et complexe des rapports entre Orient et Occident qui a façonné notre imaginaire. Il me semble important de poser la question de la provenance de ces stéréotypes à travers lesquels nous percevons les autres. Qu’ils soient positifs ou négatifs, ils ont souvent une grande influence sur nos interactions humaines. L’histoire peut nous aider à comprendre d’où nous viennent ces stéréotypes et préjugés. Mais, en attendant de fouiller les archives ou se plonger dans les livres, nous pouvons aussi nous rencontrer, apprendre à se connaitre et atténuer la méfiance par le partage et le dialogue. Voilà en tout cas ce à quoi aspire « Dialogue en Route ».

 

[2] Le terme de « gourou » est issu de plusieurs langues indiennes dont le sanskrit. Il désigne simplement un « maître ». Le bouddhisme étant basé sur une transmission de maître à disciple, ce terme est utilisé de manière courante. Jean-Paul Gloor définit le gourou comme « un maître lourd en qualité ».