26.05.2020

Quand la mort s’expose au musée, partie 1

Des musées d’ethnographie, à ceux d’archéologie, en passant par les collections anatomiques, nombreuses sont les institutions qui abritent entre leurs murs des « vestiges humains » . Or, avec l’arrivée des études postcoloniales et les processus de décolonisation qui en découlent, celles-ci se voient obligées, depuis quelques années, de réfléchir à la fois à la manière dont ces collections ont été constituées, mais aussi aux enjeux éthiques et moraux rattachés à l’exposition de ces vestiges humains.

Les collections humaines arrivent dès le XVIe siècle dans les cabinets de curiosité. Les récentes découvertes géographiques (amorcées par la « découverte » de l’Amérique en 1492) poussent explorateurs et autres amateurs à rassembler des collections hétéroclites où objets ethnographiques, spécimens botaniques et vestiges humains en tout genre se côtoient . À partir du XVIIIe siècle, grâce au progrès de la médecine et des techniques de conservation, les collections médicales prennent de plus en plus d’importance au sein des musées. C’est au XIXe siècle, avec le tournant évolutionniste et le début de l’anthropologie physique, qu’il est devenu nécessaire de rassembler des collections de vestiges humains divers, au même titre que des collections botaniques ou zoologiques. Or, ces récoltes d’ossements, de squelettes, ou de « parties molles »  se font au détriment des peuples concernés et de leurs rites funéraires. La constitution de ces collections anthropologiques prend fin au XXe siècle. Ces modes de collecte, qui tiennent plus du pillage et du vol, sont les témoins d’un acharnement à étudier des populations qualifiées d’inférieures et à leur nier à la fois toute histoire, toute culture et tout respect.

Tout corps ne suscite pas les mêmes réactions, et dépend aussi des enjeux identitaires propres à chaque culture. Exposer la Vénus hottentote, victime de l’histoire coloniale, revenait à réifier son corps, à lui nier son humanité, à reproduire des schémas coloniaux en animalisant son corps, à rappeler un passé monstrueux, mais surtout à ne pas prendre en considération l’histoire, la mémoire et l’identité d’un peuple. A contrario la distance tant dans le temps que dans l’espace, mais aussi la distance culturelle des momies égyptiennes ôtent la vision de l’humain qui se cache derrière ces vestiges. Elles sont quant à elles conservées par souci de préservation et de transmission de l’histoire. Ainsi, tous les vestiges humains ne possèdent pas la même valeur aux yeux des scientifiques et du public. Leur exposition dépend de choix individuels propres à chaque institution culturelle. La muséographie joue un rôle essentiel dans leur appréhension. C’est aux musées de réfléchir à leurs collections et à l’« utilisation des vestiges humains ». Chaque exposition doit être envisagée avec une grande attention. La scénographie doit être pensée de façon à transmettre de manière intelligible le travail scientifique effectué en amont. Mais avant tout, c’est le respect de l’histoire et de la mémoire qui doit être le moteur de chaque démarche.

Au-delà d’une culture et d’un imaginaire, la confrontation au corps mort nous ramène à notre propre finalité. Remettre aujourd’hui en question ces collections et la manière de les présenter revient à réfléchir à notre propre histoire et à notre rapport à l’Autre. De surcroît, elles amorcent une remise en question des identités nationales et appellent à la redéfinition des sciences humaines et historiques. Mais pour mieux comprendre ces enjeux, quoi de mieux qu’un exemple ? Article à suivre…