11.07.2023

« Les évangéliques à la conquête du monde » - un documentaire qui fait couler de l’encre

Le 4 avril 2023, la chaine de télévision franco-allemande Arte publiait le 1er épisode d’un documentaire en trois chapitres portant sur la relation entre les mouvements évangéliques et les pouvoirs étatiques. Ce documentaire, co-écrit par le Professeur de sociologie des religions Philippe Gonzalez de l’Université de Lausanne, fait parler. Il présente une analyse thématique et contextuelle permettant de comprendre la montée de la droite chrétienne et des politiques conservatrices dans de nombreux pays et plus particulièrement aux États-Unis et au Brésil. Depuis sa sortie, une contestation résonne au sein des milieux évangéliques (et plus généralement protestants) francophones. En effet, certain·e·s craignent un amalgame entre les phénomènes américains analysés par le documentaire et le contexte francophone.
Le documentaire, séparé en trois parties, propose d’envisager le phénomène évangélique à partir des années 1950 en se concentrant dans un premier temps sur la figure de Billy Graham, un télévangéliste qui a permis de populariser le mouvement et de lui donner une forte assise internationale. Le second épisode évoque la transformation du mouvement religieux missionnaire en mouvement politique de droite conservatrice. Il explique notamment l’intrication qui se met en place entre certaines tendances évangéliques et le parti républicain autour de thématiques sociales comme la lutte contre les droits LGBT+ ou la lutte contre le droit à l’avortement. L’épisode final fait, quant à lui, un état des lieux de la droite chrétienne actuelle en montrant par exemple comment l’ancien président Donald Trump est parvenu à implanter des représentants religieux dans chacun de ses ministères. L’épisode évoque également l’élection de trois juges conservateurs évangéliques à la Cour suprême (grâce à qui, entre autres, en 2021, l’arrêté Roe Vs. Wade qui garantissait constitutionnellement le droit à l’avortement a été révoqué).  
« Le documentaire «Les évangéliques à la conquête du monde» , coécrit par le sociologue des religions Philippe Gonzalez, de l’Université de Lausanne, emprunte-t-il des raccourcis malheureux? » C’est la question que se pose un article du 24H publié le 20 avril 2023. En effet, après la diffusion de l’avant-première du documentaire, le 20 mars, la Fédération Protestante de France (FPF) – faîtière des associations protestantes françaises – publiait un communiqué de presse dans lequel elle déplorait le parallèle entre les évangéliques en France et aux États-Unis. En effet, dans la troisième partie du documentaire, une séquence tire un rapide parallèle avec la situation française où le phénomène est bien moins important qu’aux États-Unis. L’article du 24H relaie également l’opinion de plusieurs personnalités, issues du monde académique ou pastoral, partageant cette crainte de l’amalgame. Philippe Gonzalez s’est cependant défendu en assurant que le film présente une diversité d’opinions, n’a pas de parti-pris et ne présente pas les deux situations nationales comme similaires.
En effet, le documentaire ne présente pas les deux situations comme équivalentes. L’ensemble des trois parties fait d’ailleurs des sauts géographiques afin d’illustrer l’internationalisation de ces mouvements sans pour autant tomber dans un raccourci qui consisterait à réduire toutes les situations nationales évoquées (Brésil, Corée du Sud, Suisse, France, Israël, etc.) comme strictement équivalentes à la situation étatsunienne mais plus dans le but de montrer les points de connexion d’un ensemble de mouvements dont l’ADN institutionnelle repose précisément sur la pluralité des Églises, des voix et des contextes. Le documentaire affirme cependant que les mouvements évangéliques, bien que ne pouvant être réduits à une seule tendance homogène, suivent une progressive politisation au travers d’idées conservatrices. Cette thèse est notamment soutenue par Philippe Gonzalez qui travaille sur cette question depuis plus d’une dizaine d’années et dont le documentaire présente, en définitive, une ligne d’analyse conforme à l’ensemble de ses travaux.