Catégorie – Yanncy Fanti

  • Table ronde « Des valeurs à l’action : cultiver la justice sociale » - Compte rendu / 18.11.2024

    +
  • Yanncy Fanti - Guide en Route
  • Le 07 novembre 2024, « Dialogue en Route » a organisé une Table ronde intitulée « Des valeurs à l’action : cultiver la justice sociale » qui s’inscrivait dans la prolongation d’un atelier réalisé dans le cadre du projet Salomon2024 qui a eu lieu en début d’année 2024. Lors de cet événement, Léa Assir (coordinatrice des guides) modérait la discussion entre Inès Calstas – responsable de la Pastorale des Milieux ouverts de l’Église catholique romaine de Genève, Yves Dawans – aumônier de prison et officier de l’Armée du Salut et Moussa Thiam – jardiner à Mô-ki-Pousse, un jardin d’inclusion sociale ...

    Le 07 novembre 2024, « Dialogue en Route » a organisé une Table ronde intitulée « Des valeurs à l’action : cultiver la justice sociale » qui s’inscrivait dans la prolongation d’un atelier réalisé dans le cadre du projet Salomon2024 qui a eu lieu en début d’année 2024. Lors de cet événement, Léa Assir (coordinatrice des guides) modérait la discussion entre Inès Calstas – responsable de la Pastorale des Milieux ouverts de l’Église catholique romaine de Genève, Yves Dawans – aumônier de prison et officier de l’Armée du Salut et Moussa Thiam – jardiner à Mô-ki-Pousse, un jardin d’inclusion sociale initié autour de Temple de Montbrillant, à Genève.

     

    « Justice »... Ce mot-là je l'ai entendu encore et encore, à l'usure, jusqu'à ce qu'il finisse par perdre sa puissance. À force d'emploi, j'en suis venu à le percevoir comme une matière vide ou un engrenage désamorcé. Oui mais voilà, la « justice », ce n'est pas qu'une caisse de résonnance creuse, tout du moins pas pour les trois intervenant·e·x·s de cette Table ronde. Pour elleux, ce terme a un sens bien particulier qui s'inscrit à la fois dans leur parcours personnel, leur foi et leur engagement social.    

     

    Il est passé 18h, nous sommes dans une arrière-salle de la Maison de quartier des Pâquis, Léa accueille ses invité·e·x·s. Les trois se connaissent, ce petit moment informel au cours duquel les intéressé·e·x·s arrivent au compte-goutte est aussi l'occasion d'échanger, de parler du travail, des connaissances que l’on a en commun. Une femme passe par l'embrasure de la porte, Inès s'interrompt et lui saute au cou, heureuse de la voir. La salle se remplit jusqu'à ce que cette Table ronde, rectangle, soit occupée dans tout son espace.    

     

    « Quel sens a la justice, pour vous ? »  

     

    Vaste question par laquelle Léa engage la discussion ! Pour Inès, c'est une histoire qui débute en Uruguay, d'où elle est originaire, et où l'engagement militant des hommes et des femmes d'Église face à la dictature lui ont inspiré son chemin de vie. Pour Yves, ce fut un appel de Dieu qui le détourna de son métier d'enseignant pour le mener sur les chemins du pastorat puis de l'aumônerie. Enfin, pour Moussa, c'est dans l'expérience de la migration, du Burkina-Faso à la Lybie, de la Lybie à l'Italie, par la Méditerranée dans une embarcation de fortune et de l'Italie jusqu'en Suisse, que le mot « (in)justice » a pris toute son envergure. À l'amorce de ces récits, je sens déjà le terme se gorger d'une substance que je lui avais oubliée.    

     

    Cette discussion est un miroir qui permet de renvoyer face à face des mots, des discours ou des situations. À la justice s'oppose l'injustice. C'est le constat de cette injustice qui motive l'engagement. Inès parle de la situation des personnes sans domicile fixe qui « ne peuvent pas montrer leur valeur », condamnées à l'invisibilité. Elle insiste, selon elle, l'injustice, « c'est de ne pas reconnaître la valeur de l'autre ». Yves constate quant à lui l'injustice en prison. « La prison, c'est un peu en dehors de la vie », on a tendance à oublier que cela existe. Ce système est inégalitaire, par essence, la résistance face à l'isolement, les conditions psychologiques ou physiques, la présence ou l'absence d'un soutien familial ou les besoins différents selon les détenu·e·x·s sont autant de facteurs qui font que l'enferment ne pèse pas de façon homogène sur l'ensemble de la population carcérale. Yves ajoute que la prison enferme également des personnes en attente de condamnation, les juges les convoquent au tribunal après plusieurs mois de réclusion, souvent pour les libérer car iels ont déjà purgé leur peine. La prison, c'est un système social enlisé : « il y a trop de personnes à juger pour trop peu de juges » détaille l’aumônier. Cette façon de faire arrange les institutions ; « c'est le système qui est gagnant, pas la personne ». Moussa raconte alors l'histoire d'un ancien détenu qui lui a confié avoir été injustement incarcéré, ce dernier a passé plusieurs mois en l'attente d'un procès avant d'être innocenté. « Il a reçu un dédommagement mais ça ne répare pas l'injustice » considère Moussa, qui - résilient - constate que la prison est une injustice inévitable. « Pour des amendes impayées on nous enferme » raconte-t-il lorsqu'il complète le récit de son arrivée en Suisse.  Sans domicile fixe il a, lui aussi, été emprisonné. Inès acquiesce.    
    « Vivre dans la rue c'est se mettre dans l'illégalité. (...) Il y a un trait d'union entre la rue et la prison. »    
    Se laver dans une fontaine, mendier ou même circuler, lorsque les autorités interdisent certains espaces aux personnes sans domicile, c'est commettre des infractions qui entrainent des amendes lesquelles ne peuvent être payées et sont donc converties en « jours-amende ». La prison devient, fatalement, alors un point d'aller-retour.

     

    Comment restaurer la justice ?    

     

    Inès, responsable de la Pastorale des Milieux ouverts, est l’initiatrice de Mô-Ki-Pousse, un jardin collectif où les gens peuvent se retrouver, se rencontrer, recréer du lien lorsqu'ils vivent dans la rue et qu'ils subissent un sentiment d'évitement, ou de rejet. Ces situations produisent une colère qu'elle juge légitime, à son échelle, elle tente de redonner à ces êtres humains la possibilité de montrer leur valeur et de retrouver leur dignité. Yves a quitté le pastorat pour aller en prison, accompagner les personnes qui en expriment le besoin. Malgré une charge importante, parce qu'il constate un manque de personnel pour faire ce qu'il fait, il considère son travail comme « une mission, pas un job », « il ne faut pas compter ses heures ». Pour les prisonnier·ère·x·s, c'est une bulle à part. Un moment où parler à un·e·x interlocuteur·rice·x qui n'est pas payé·e·x par l'État, qui ne fait pas partie du système. Il constate une volonté, lente, des institutions à vouloir tendre vers une amélioration. Malheureusement, il reste limité dans son action, les listes d'attente sont longues, les entrevues sont courtes, mais son engagement reste affirmé et déterminé. Moussa, lui, a pu voir « l'autre côté », comme par reflet avec les discours de Inès et Yves, il explique les apports positifs de ses rencontres avec des aumônier·ère·x·s, en prison, et la façon dont Mô-ki-Pousse lui a permis, enfin, de stabiliser sa situation. Plus tard, lors de la discussion, un participant s'exprimera aussi, narrant comment il est sorti de la rue et a trouvé une vocation dans le travail social grâce à Mô-ki-Pousse.    

     

    Moussa s'exprime ainsi, lorsqu'il parle de sa rencontre avec un aumônier au sein des prisons, « c'est une volonté d'ouvrir les barrières ». Les barrières entre les gens, les parcours, les chemins qui se croisent, se conjuguent, se retrouvent.    

     

    La justice, c’est une volonté.     

     

    Lorsque je l'écris, cette phrase m’évoque avec puissance le sentiment que me laisse cette Table ronde. Certes, parfois les circonstances ne permettent pas d'aider autant qu'il le faudrait, parce que le système joue contre certaines populations ou par manque de personnes impliquées ; mais même lorsque rien ne semble changer, il reste la force profonde de la volonté de quelques-un·e·x·s, qui s'engagent au travers de projets associatifs ou de leur travail, à vouloir défendre celleux qui subissent, injustement leur situation. Antonio Gramsci disait, « il faut être pessimiste avec l'intelligence, mais optimiste avec la volonté », et la volonté, c'est ce qui pousse Inès, Moussa et Yves à agir pour la justice !


    Image: De gauche à droite: Léa Assir, Moussa Thiam, Inès Calstas, Yves Dawans. © « Dialogue en Route ».

    None
  • Raëlisme : comment Netflix produit l’altérité / 06.05.2024

    +
  • Yanncy Fanti - Guide en Route
  • Depuis la sortie de la série documentaire « Raël : le prophète des extra-terrestres » sur la plateforme Netflix, le mouvement raëlien s’est retrouvé au centre de l’attention et des débats. Yanncy Fanti nous propose une analyse du traitement médiatique dont a fait l’objet ce mouvement religieux.

    Le 7 février 2024, Netflix sortait la série documentaire « Raël : le prophète des extra-terrestres ». Bien que cherchant à conserver une approche neutre du sujet, le programme interroge majoritairement des membres actif·ve·x·s et des ancien·ne·x·s adhérant·e·x·s du mouvement, en mettant dos à dos leur témoignages. En substance, la production du géant du streaming états-unien s'en tient à une histoire du mouvement qui consiste à comparer Raël à un businessman au pouvoir charismatique phénoménal autour duquel repose toute une entreprise de croyance lucrative et potentiellement sujette aux dérives. L'idée n'est pas ici de se prononcer sur les dérives supposées ou réelles du groupe, ni de revenir sur les différentes polémiques dont il a fait l’objet, mais d’interroger le discours produit par Netflix. Au lendemain de la sortie, fleurissent des articles de presses qui, ayant boudé le phénomène depuis quelques années, se reprennent de passion pour le groupe et son prophète. En Suisse romande, et en moins d'un mois, Canal9, le 24H, le Waston, l'Illustré et même le journal télévisé de la RTS médiatisent le sujet. Sur internet, les passions se déchaînent et l’intérêt explose. Fabien Olicar, le célèbre mentaliste aux 2,15 millions d'abonné·e·x·s sur YouTube réalise une vidéo d'une quarantaine de minutes sur la figure de Raël dont il analyse le succès au prisme de ce qu’il aborde comme des stratégies manipulatoires.

    Il paraît intéressant de sonder le traitement accordé aux personnes croyant aux extra-terrestres. En effet, ce phénomène est traité comme une forme de bizarrerie intrigante qui suscite l'attention. Nous pourrions nous demander pourquoi ce registre de croyances spécifique, plutôt qu’un autre, provoque ce type de considérations ? Dans le cas examiné ici, il semble que cela résulte, en partie, de l'angle privilégié par le documentaire Netflix et par voie de conséquence, de l'effervescence médiatique engendrée par sa sortie. Il convient toutefois de souligner que ce traitement précède très largement la production Netflix, cependant, l’analyse du documentaire peut servir de cas d’exemple, par la portée qu’il a eue, afin de commenter – plus largement – les processus de médiatisation des croyances religieuses minoritaires et des mouvements religieux ou spirituels émergents.

    Le concept d'estrangement (ou d’étrangement), théorisé par le théologien Yves Congar[1], a nourri une longue tradition d'interprétation qui a irrigué aussi bien l'analyse de la science-fiction de Darko Suvin[2] que des auteur·rice·x·s issu·e·x·s des études gays et lesbiennes tels que William Marx[3]. La définition qui nous saurait être la plus éclairante provient probablement de Bertold Brecht. Le "verfmendung" brechtien[4] consiste en « une reproduction qui, certes, fait reconnaître l’objet, mais qui le fait en même temps paraître étranger. »[5]  Ainsi pourrait être décrite la nature du discours du documentaire Netflix au sujet du raëlisme. D'une part, se dégage un récit dont la structure nous est familière : le chanteur frustré de n'avoir pas obtenu le retentissement escompté décide de compenser son besoin d'attention en créant son propre groupe d'adeptes. Les nombreuses biographies de Charles Manson, déjà, ont éprouvé cette narration. En outre, le documentaire mobilise un référentiel de représentations relatif à ce type de mouvement qui réitère un discours médiatique bien connu : la vie en communauté, le leader charismatique, la désillusion, les abus financiers et sexuels supposés. D'autre part, apparaît l'étrangeté, la mise à distance d’une croyance traitée comme extravagante voire saugrenue. Le raëlisme repose sur les récits de leur prophète Raël (Claude Vorihlon) qui aurait reçu une révélation des Elohim. Ceux-ci ne seraient, en fait, pas des anges (comme dans la bible) mais des extra-terrestres à la technologie avancée qui auraient créé de la vie en laboratoire avant de l’implanter sur Terre[6]. Mais pourquoi ces croyances paraissent-elles plus étonnantes que d’autres ? Pourquoi suscitent-elles tant de curiosité ? Notre hypothèse est que le traitement qui leur est accordé relève précisément d’un processus d’étrangement c’est-à-dire qu’elles ne bénéficient pas d’une approche qui les réinscrirait dans un contexte historique et social, les faisant de ce fait, paraître « défamiliarisées ».

    Pourtant, loin d'être un phénomène surprenant par sa singularité, le raëlisme s’inscrit dans une période dont il est possible de dessiner les contours sociologiques et historiques. Pour le sociologue Jean-François Mayer, le mouvement s'inscrit dans une tendance dite soucoupiste, qui croit aux extra-terrestres, et qui émerge dans le creuset des États-Unis, en période de guerre froide, où les tensions avec le bloc soviétique nourrissent la crainte d'une catastrophe nucléaire[7]. Cette même période se caractérise par un phénomène de forte sécularisation, à savoir le processus par lequel les religions institutionnelles et historiques, notamment le christianisme, perdent en puissance et en adhérent·e·x·s, en occident[8]. Dès lors, une nouvelle perspective millénariste émerge. Ainsi, Jean-François Mayer note : « dans un ciel vidé de ses anges, d'autres entités salvatrices, à savoir les extra-terrestres (...), sont attendues »[9]. En effet, la question de la destruction nucléaire occupe une place d’importance dans les considérations raëliennes. Notons que le nouvel an raëlien a lieu le 6 août, en commémoration du bombardement de Hiroshima qui correspondrait à l’évènement marquant l’entrée dans une ère où l’humanité possèderait désormais la capacité de s’auto-annihiler. En outre, les croyances raëliennes mettent l’emphase sur « la science ». Selon elleux, les prophètes des différentes religions auraient reçu des révélations au sujet de la vie sur terre en fonction du niveau d’avancée technologique de leur civilisation et donc de leur capacité à comprendre la vérité. C’est pour cela qu’il aurait fallu attendre 1973 pour que le dernier prophète, Raël, reçoive l’ensemble du message[10]. Ce croisement complexe entre récits religieux et interprétation techno-scientifique est qualifiée de « syncrétismes scientifico-religieux »[11] par le sociologue Jean-Bruno Renard. Ces considérations nous permettent de rendre compte de la composante contextuelle du raëlisme. Aucune croyance n’émerge dans un vide social et politique.

    Presque 50 ans plus tard, Netflix désolidarise son récit de ce contexte et réactive l'intérêt pour les croyances aux extra-terrestres. En dissociant presque entièrement la narration au sujet du groupe d'une lecture sociologique et situationnelle, le documentaire créé une altérité ontologique faite de personnes sous l'emprise d'un gourou surpuissant qui pénètre les esprits et les porte-monnaies en réifiant l'explication de la croyance à une simple forme de faiblesse d'esprit et en retirant leur agentivité aux membres du groupe. Le documentaire fait l'impasse sur un travail d'inscription des récits de trajectoires biographiques dans un contexte social et politique, produisant – de ce fait - un objet de curiosité à part saisissant d'étrangeté. En somme, le documentaire force la distinction entre les raëlien·ne·x·s et le « nous » collectif, il les projette dans un espace d'interprétation distinct du continuum social dans lequel l'« on » devrait s'inscrire. Le manque d'envergure historique du traitement des voies narratives est substitué par une rhétorique de l'étrangement brechtien qui produit une dialectique entre proximité et distance et qui participe à la représentation d'une altérité intraculturelle.

     

    Image : © Netflix

     

     

    [1] Congar, Y. (1931). Chrétiens désunis – principes d’un “oeucuménisme” catholique. Ed. Du cerf.

    [2] Suvin, D. (2000). Considering the Sense of ‘Fantasy’ or ‘Fantastic Fiction’ : An Effusion. Extrapolation, 41:3, 209-247.

    [3] Marx, W. (2018). Un savoir gai. Les éditions de minuit. P.63.

    [4] Spiegel, S. (2008). Things Made Strange: On the Concept of “Estrangement” in Science Fiction Theory. Science Fiction Studies, 35 : 3, 369-385.

    [5] Brecht, B. (1999). Petit organon pour le théâtre [Kleines Organon für das Theater, 1948], traduit de l’allemand par Jean Tailleur. L’Arche. P.57.

    [6] Centre d’information sur les croyances (2024). Dossier d’information : « Le mouvement raëlien », Genève : CIC.

    [7] Mayer, J-F. (2001). Mais que cherchent-ils ? - Interview. Actualité des religions, 260, 25-27.

    [8] Taylor, C. (2007). A secular Age. Cambridge, Belknap Press of Harvard University.

    [9] Mayer, J-F. (2001). Mais que cherchent-ils ? - Interview. Actualité des religions, p.26.

    [10] Fanti, Y. (2024) Une rencontre du mouvement raëlien de Suisse romande : vignette ethnographique. Centre intercantonal d’information sur les croyances.

    [11] Renard, J-B. (1988). Les extraterrestres. Éditions Du Cerf. Paris, p. 166.

    None
  • « Les évangéliques à la conquête du monde » - un documentaire qui fait couler de l’encre / 11.07.2023

    +
  • Yanncy Fanti - Guide en Route
  • Le 4 avril 2023, la chaine de télévision franco-allemande Arte publiait le 1er épisode d’un documentaire en trois chapitres portant sur la relation entre les mouvements évangéliques et les pouvoirs étatiques. Ce documentaire, co-écrit par le Professeur de sociologie des religions Philippe Gonzalez de l’Université de Lausanne, fait parler. 

    Le 4 avril 2023, la chaine de télévision franco-allemande Arte publiait le 1er épisode d’un documentaire en trois chapitres portant sur la relation entre les mouvements évangéliques et les pouvoirs étatiques. Ce documentaire, co-écrit par le Professeur de sociologie des religions Philippe Gonzalez de l’Université de Lausanne, fait parler. Il présente une analyse thématique et contextuelle permettant de comprendre la montée de la droite chrétienne et des politiques conservatrices dans de nombreux pays et plus particulièrement aux États-Unis et au Brésil. Depuis sa sortie, une contestation résonne au sein des milieux évangéliques (et plus généralement protestants) francophones. En effet, certain·e·s craignent un amalgame entre les phénomènes américains analysés par le documentaire et le contexte francophone.
    Le documentaire, séparé en trois parties, propose d’envisager le phénomène évangélique à partir des années 1950 en se concentrant dans un premier temps sur la figure de Billy Graham, un télévangéliste qui a permis de populariser le mouvement et de lui donner une forte assise internationale. Le second épisode évoque la transformation du mouvement religieux missionnaire en mouvement politique de droite conservatrice. Il explique notamment l’intrication qui se met en place entre certaines tendances évangéliques et le parti républicain autour de thématiques sociales comme la lutte contre les droits LGBT+ ou la lutte contre le droit à l’avortement. L’épisode final fait, quant à lui, un état des lieux de la droite chrétienne actuelle en montrant par exemple comment l’ancien président Donald Trump est parvenu à implanter des représentants religieux dans chacun de ses ministères. L’épisode évoque également l’élection de trois juges conservateurs évangéliques à la Cour suprême (grâce à qui, entre autres, en 2021, l’arrêté Roe Vs. Wade qui garantissait constitutionnellement le droit à l’avortement a été révoqué).  
    « Le documentaire «Les évangéliques à la conquête du monde» , coécrit par le sociologue des religions Philippe Gonzalez, de l’Université de Lausanne, emprunte-t-il des raccourcis malheureux? » C’est la question que se pose un article du 24H publié le 20 avril 2023. En effet, après la diffusion de l’avant-première du documentaire, le 20 mars, la Fédération Protestante de France (FPF) – faîtière des associations protestantes françaises – publiait un communiqué de presse dans lequel elle déplorait le parallèle entre les évangéliques en France et aux États-Unis. En effet, dans la troisième partie du documentaire, une séquence tire un rapide parallèle avec la situation française où le phénomène est bien moins important qu’aux États-Unis. L’article du 24H relaie également l’opinion de plusieurs personnalités, issues du monde académique ou pastoral, partageant cette crainte de l’amalgame. Philippe Gonzalez s’est cependant défendu en assurant que le film présente une diversité d’opinions, n’a pas de parti-pris et ne présente pas les deux situations nationales comme similaires.
    En effet, le documentaire ne présente pas les deux situations comme équivalentes. L’ensemble des trois parties fait d’ailleurs des sauts géographiques afin d’illustrer l’internationalisation de ces mouvements sans pour autant tomber dans un raccourci qui consisterait à réduire toutes les situations nationales évoquées (Brésil, Corée du Sud, Suisse, France, Israël, etc.) comme strictement équivalentes à la situation étatsunienne mais plus dans le but de montrer les points de connexion d’un ensemble de mouvements dont l’ADN institutionnelle repose précisément sur la pluralité des Églises, des voix et des contextes. Le documentaire affirme cependant que les mouvements évangéliques, bien que ne pouvant être réduits à une seule tendance homogène, suivent une progressive politisation au travers d’idées conservatrices. Cette thèse est notamment soutenue par Philippe Gonzalez qui travaille sur cette question depuis plus d’une dizaine d’années et dont le documentaire présente, en définitive, une ligne d’analyse conforme à l’ensemble de ses travaux.