« Intersectionnalité » : penser la discrimination au pluriel / 21.02.2022
+À l’instant où j’écris le titre de cet article, Word le souligne en rouge. Le terme d’« intersectionnalité » est de plus en plus débattu dans les milieux militants et en sciences sociales, pourtant il reste peu présent dans le langage courant. Que signifie-t-il ? Je propose d’en donner une brève définition et de réfléchir à comment l’approche intersectionnelle peut être mise en pratique afin de ne pas reproduire des formes d’oppressions.
Emma DeGraffenreid est une femme noire. En 1976, elle attaque en justice une entreprise pour discrimination raciste et sexiste à l’embauche. L’entreprise prouve cependant qu’elle emploie des femmes ainsi que des personnes noires, ce qui est vrai, seulement il s’agit de femmes blanches et d’hommes noirs. La catégorie sociale de femme noire n’étant pas considérée comme telle, Emma perd son procès face à une justice qui ne répond pas à sa double identité et à la discrimination raciste et sexiste qu’elle subit simultanément.
C’est en réponse à ce genre de situations qu’émerge alors le concept d’« intersectionnalité ». Il a été développé par la juriste et féministe anti-raciste afro-américaine Kimberlé Crenshaw en 1989. La définition juridique de la discrimination étant trop réductrice, elle propose d’utiliser le terme d’intersectionnalité afin de rendre compte de la complexité des expériences de marginalisation des femmes noires de classes défavorisées. Ce terme est aujourd’hui plus largement utilisé pour penser l’articulation entre les différentes formes d’oppressions que les individus subissent en fonction du genre, de la race, la classe, la sexualité, la religion et d’autres axes de discrimination.
Le combat de Kimberlé pour la reconnaissance des identités plurielles et des discriminations particulières s’inscrit dans la continuité des mouvements féministes afro-américains et des féministes autochtones et indigènes qui luttent depuis bien longtemps pour leurs droits spécifiques (voir par exemple le travail d’Audre Lorde et d’Angela Davis).
Mais comment mettre en pratique l’approche intersectionnelle ? Je propose ici deux éléments de réponse qui ne sont évidemment pas exhaustifs mais qui, je l’espère, invitent à la réflexion.
Repenser ses privilèges* :
Chacun·x.·e d’entre nous se situe à l’intersection d’un certain nombre de privilèges et d’oppressions. Se confronter à ses privilèges est essentiel pour prendre conscience de la place occupée dans la société. Par exemple, la couleur de peau blanche n’est que très rarement discutée en tant que telle ou même nommée et ne fait pas l’objet de débats. Le privilège réside alors dans le fait de ne pas avoir à se questionner sur cette « blanchité ». Dans mon cas, je me positionne en tant que femme, je suis blanche et valide. Je me bats contre le sexisme dont je suis victime mais mon expérience n’est pas égale à celle d’une femme racisée à mobilité réduite qui subit simultanément des discriminations de genre, de race et de validité.
Écouter, amplifier la voix, donner la parole :
Les groupes minoritaires ont été et sont encore largement représentés par les autres groupes dominants. Il est temps d’écouter et de donner la parole aux personnes concernées et ainsi de visibiliser leurs expériences sociales et leur réalité vécue. Ces espaces d’expression se trouvent dans les discussions quotidiennes, les débats politiques mais aussi dans les médias, les séries, les films, les livres etc. C’est entre autres en représentant les groupes minoritaires et en leur donnant une voix que leurs expériences particulières de discrimination pourront être nommées, prises en compte et que des changements pourront alors avoir lieu.
Cette notion d’intersectionnalité a donc pour but de repenser les inégalités dans la société avec plus de justesse et de pertinence, en acceptant et en reconnaissant les différences. Pour cela, chacun·x·e doit se questionner sur sa place au sein de la société, dans les mouvements sociaux, mais aussi sur comment être inclusif.x.ve et concevoir sa place au sein d’un groupe. Prendre conscience de ses privilèges et de sa position sociale est la première étape pour tendre vers un monde plus juste.
« Ce ne sont pas nos différences qui nous divisent. C’est notre incapacité à reconnaître, accepter et célébrer ces différences » Audre Lorde
*Un petit test pour prendre conscience de ses privilèges : « Check tes privilèges » (https://fr.surveymonkey.com/r/P79WYND)
Image : Angela Davis protestant contre le racisme aux USA dans les années 60. https://averdade.org.br/2021/01/angela-davis-simbolo-do-combate-ao-capitalismo