Migration et coronavirus : même vécu pour toutes et tous ? / 21.04.2020
+« Nous sommes tous des migrants »1. Ces mots, par lesquels Jean-Claude Métraux ouvre le deuxième chapitre de son ouvrage, focalisent l’expérience de la migration comme étant, certes spatiale, mais également temporelle. Toutefois, l’expérience de la migration ne saurait être uniquement labellisée par un caractère de changement. En effet, la particularité essentielle pour catégoriser une expérience de
« migration » serait de quitter un monde dans lequel on vivait et on était, pour passer dans un autre monde, y entrer, et, possiblement, y être.
Cet ouvrage, et tout particulièrement ce chapitre, m’ont inspiré un questionnement portant sur la situation actuelle : pourrait-on utiliser la migration comme métaphore du confinement ? En effet, avant ce dernier, nous appartenions toutes et tous à un monde. Nous suivions des études, travaillions, allions voir des films, voyions nos amis ou encore réalisions des projets. Avec la décision émise par le Conseil Fédéral du vendredi 13 mars dernier d’imposer un confinement aux habitants, un premier processus s’est enclenché : nous quittions un monde. Ce choix de santé public a eu des effets divers et variés que cela soit des pertes de postes de travail, cours suspendus pour les uns, donnés dans des conditions questionnables pour d’autres, fermeture des lieux de culture et de spectacle, précarisation de populations déjà vulnérables, etc. Mais le constat est inévitable, nous passions dans un autre monde.
Y entrer, n’est pas forcément une chose aisée. Pour certaines et certains, plusieurs semaines voire plusieurs mois seront nécessaires pour s’habituer à cette situation, que cela soit parce que le travail à distance est impossible ou parce que le changement soudain nous force à s’organiser de nouveaux rythmes de vie. Pour d’autres, le travail reste modifié que de manière sensible, le télétravail étant une situation envisagée et envisageable, qui permet de garder un lien sensible avec le monde précédent. Mais le travail n’est pas la seule sphère touchée : comment participer à un office religieux quand les églises, mosquées ou temples ferment ? Comment donner des cours de langues ? Comment continuer à recevoir les informations de son assistant social ? Des multiples initiatives numériques sont mises en place et tentent de construire une nouvelle manière de créer et conserver les liens interindividuels, citons par exemple la messe du Pape François 1er du jeudi 9 avril. A ce moment précis, pourrait-on parler d’un vivre dans cet autre monde ? Le recours aux nouvelles technologies est-il une possibilité pour soi-même d’exister dans cette « migration forcée » ? Sans aucun doute, la souffrance psychologique et sociale se développe de manière inégale dans cette nouvelle situation et les bouleversements sociaux, économiques, politiques et sanitaires n’affectent pas les individus de la même façon. Certains possèdent les capitaux socio-économiques suffisants pour pouvoir parfaire et construire son chemin plus sereinement dans ce cadre particulier, d’autres se retrouveront face à certains obstacles et difficultés qui entraveront le passage à l’étape finale : celle d’être de cet autre monde.
Les réfugié.e.s, les étudiant.e.s, les infirmier.ère.s, les caissier.ère.s, les sans-abri.e.s, les cols blancs, les hommes et femmes de ménages, les artistes, les personnes âgées, toutes ces catégories d’individus, que cela soit en fonction de leur âge, sexe, travail ou encore de leur origine ethnique ne sont pas égaux face à cette nouvelle situation, et la possibilité d’être de ce nouveau monde dépendra de la possibilité de reconnaître et respecter la situation de chacun et de co-construire en fonction de celle-ci.
1 MÉTRAUX, Jean-Claude, La migration comme métaphore, La dispute, Paris, 2017 [2011], p. 50
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