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02.06.2025

Expérience hors du corps : le phénomène de la conscience entre religion et science

Longtemps considérées dans le registre du mystique et du paranormal, les expériences hors du corps (EHC) suscitent l’intérêt croissant de la communauté scientifique. La particularité du phénomène questionne la relation entre le corps et la conscience. Comment expliquer que certain·e·x·s vivent un détachement corporel ? Ces personnes racontent s’être séparées de leur enveloppe physique, leur permettant d’observer leur propre corps depuis un point de vue surélevé.[1] Les EHC surviennent autant chez des personnes en bonne santé que dans des contextes médicaux et pathogènes, ce qui renforce le mystère du phénomène de la conscience.

La question du lien entre l’esprit et le corps est connue dans beaucoup de contextes :  chamanismes, philosophies de la Grèce antique ou encore christianisme.[2] Au début du XXème siècle, avec l’essor du spiritisme et de la parapsychologie, la communauté scientifique se penche de plus près sur le sujet. Mais ce sera surtout dans les années 1960, sous l’influence du mouvement psychédélique et de l’intérêt pour les états modifiés de conscience, que l’expression « out of body » en anglais émerge.[3] Aujourd’hui, pourtant, malgré l’avancée des technologies et des connaissances, les causes des EHC restent obscures.

Se détachant au fil des siècles de la religion, les sciences vont tenter de trouver une explication au phénomène. L’approche psychologique propose de comprendre les mécanismes et raisons derrières la décorporation. Peut-on trouver une réponse dans l’étude de ce qui est éprouvé psychiquement durant une EHC ? L’approche psychopathologique questionne l’implication du danger. En effet, les récits de décorporation sont souvent relatés lors d’expériences de mort imminente, lorsque l’intégrité de l’individu est menacée.[4] Cette hypothèse suggère une fonction adaptative face à la peur de mourir, bien que la parapsychologue Susan Blackmore y voie plutôt un phénomène normal de la conscience, comparable au rêve, et possible sans menace vitale, par exemple lors d'une méditation ou à l’endormissement. Sur le plan neurologique, Olaf Blanke identifie une zone postérieure du cerveau impliquée dans la sensation d’incarnation, issue de la coordination de signaux visuels, vestibulaires et proprioceptifs.[5] Autrement dit, l’analyse inconsciente de l’espace, dans lequel nous nous trouvons et bougeons, implique la sensation d’être dans notre corps ou non. Les travaux de Blanke expliquent que la décorporation résulte d’un dysfonctionnement d’intégration de ces signaux. En d’autres termes, l’EHC est réduite à une illusion.

Cependant, les études sur le cerveau sont limitées. Les explications psychologiques ne  peuvent pas prendre en compte l’ensemble des paramètres impliqués dans les EHC, qui s’inscrivent dans de nombreux contextes avec de nombreuses causes. Les études actuelles dans le domaine se trouvent face à une impasse, à laquelle l’approche spirituelle offre des solutions. Cette approche propose d’autres cadres interprétatifs au phénomène qui prennent en compte le sens de l’expérience pour celles et ceux qui le vivent. Dans le contexte du christianisme primitif ou des mouvements New Age, l'EHC est intégrée dans une vision où le corps est limité, tandis que l’esprit est libre et adjacent au divin ou à l’univers. L’EHC donnerait accès à une autre réalité, au lieu d’être un dérèglement de perception. La diversité des interprétations des expériences de décorporation souligne la nécessité d’un dialogue entre science et spiritualité, pour mieux comprendre les mystères de la conscience humaine.

Image tirée de : Aspell, J. E., & Blanke, O. (2009). Understanding the out-of-body experience from a neuroscientific perspective. In C. D. Murray (Ed.), Psychological and scientific perspectives on out-of-body and near-death experiences (pp. 73–88). New York: Nova Science : p. 74.

 

[1] Aspell, J. E., & Blanke, O. (2009). Understanding the out-of-body experience from a neuroscientific perspective. In C. D. Murray (Ed.), Psychological and scientific perspectives on out-of-body and near-death experiences (pp. 73–88). New York: Nova Science : p. 74.

[2] Le Maléfan, P. (2005). La « sortie hors du corps » est-elle pensable par nos modèles cliniques et psychopathologiques ? Essai de clinique d'une marge. À propos d'un cas. L'Évolution psychiatrique, 70(3) : p. 517.

[3] Ibid., p. 514.  

[4] Le Maléfan, P. (2005). La « sortie hors du corps » est-elle pensable par nos modèles cliniques et psychopathologiques ? Essai de clinique d'une marge. À propos d'un cas. L'Évolution psychiatrique, 70(3) : p. 521.

[5] Ibid., p. 523.