
28.04.2025
Table Ronde « Croyances et appartenances face aux préjugés » - Compte rendu
Le mardi 25 mars 2025, une table ronde organisée par « Dialogue en Route » intitulée « Croyances et appartenances face aux préjugés » a pris place à la Maison du Marché à La Chaux-de-Fonds dans le cadre de la 30ème édition de la Semaine d’actions contre le racisme. Cette discussion modérée par David Vulrod, guide au sein du projet, avait pour but d’aborder les préjugés et discriminations rencontrés quotidiennement par les communautés juives et musulmanes à travers les expériences vécues de personnes concernées et les pratiques concrètes permettant d’y faire face. Pour en discuter, trois intervenant·e·x·s ont été convié·e·x·s : Naïma Serroukh, juriste et directrice de l’association Tasamouh à Bienne, Bertrand Leitenberg, président de la Communauté Israélite du Canton de Neuchâtel à la Chaux-de-Fonds (CICN) et Sandrine Keriakos Bugada, déléguée à l’intégration de la Ville de La Chaux-de-Fonds.
Dans un premier temps, David a rappelé le contexte de création de la Semaine d’actions contre le racisme à Neuchâtel, qui a débuté en commémoration aux évènements survenus le 21 mars 1960 en Afrique du Sud et qui s’inscrit dans un mouvement romand et international[1]. Il s’est ensuite appuyé sur une définition de la notion de « discrimination » de la Confédération[2], mettant l’accent sur la mise à l’écart d’un groupe selon certains critères. Finalement, il a rappelé l’importance de se focaliser sur le vécu des concerné·e·x·s afin de sortir du chaos médiatique et politique régnant actuellement autour de ces questions.
La discussion débute autour de discriminations subies au quotidien. Naïma partage des expériences de racisme « ouvert » dans l’espace public, mais aussi des discriminations plus subtiles reposant sur des stéréotypes sur les femmes voilées dans les domaines du travail et du logement. Bertrand soulève quant à lui la question de la visibilité. Il explicite le fait qu’il n’est pas identifié comme Juif en dehors de la synagogue, car il ne porte pas quotidiennement une kippa. Un racisme de type institutionnel ou structurel, freinant les efforts de reconnaissance de la communauté musulmane, est également mis en évidence par Naïma.
Les réponses à ces discriminations varient selon les différent·e·x·s intervenant·e·x·s, mais il et elles semblent se retrouver autour de l’affirmation suivante : l’action doit être quotidienne et reposer sur un dialogue. Dans ce sens, Sandrine évoque la nécessité d’une « veille de tous les instants » et Naïma l’importance d’actions quotidiennes pour lutter contre des discriminations qui sont vécues au quotidien. La solution promue par Bertrand consiste à inviter la minorité de réticent·e·x·s au « vivre-ensemble », notamment via des visites guidées dans les lieux de culte.
La formation et l’éducation possèdent aussi un rôle clé dans la lutte contre les discriminations en tout genre et celles vécues par les communautés juives et musulmanes ne font pas exception. Selon Bertrand, le matériel pédagogique actuel destiné aux élèves est particulièrement riche et fourni. Le problème réside donc davantage dans les intérêts personnels des enseignant·e·x·s dans le choix des thèmes à enseigner. Naïma évoque l’association Mosaïk regroupant des collectifs luttant contre de multiples discriminations et proposant des ateliers pour des élèves et des enseignant·e·x·s. Dans ce cadre, elle exprime avoir rencontré des difficultés à être prise au sérieux en tant que femme voilée et d’origine étrangère, dénotant à nouveau une forme de racisme institutionnalisé.
Par ailleurs, la publication en février 2025 d’une étude sur le racisme antimusulman, mandatée par le Service de lutte contre le racisme (SLR) et menée par le Centre Suisse Islam et Société (CSIS) de l’Université de Fribourg, a mis en lumière le faible nombre de plaintes portées pour discriminations racistes[3]. Naïma mentionne quelques freins pouvant expliquer cette absence de signalements, incluant un manque de confiance dans les institutions, l’existence de quatre langues nationales, le profilage racial, la lenteur des décisions juridiques ou encore le poids des stéréotypes.
Un autre élément discuté est celui du processus d’acceptation graduelle des communautés minoritaires par la société à travers les lieux de culte. Sandrine fait remarquer la centralité de ces derniers à La Chaux-de-Fonds, répondant à une volonté de ne pas reléguer les cultes de minorités religieuses en périphérie. Bertrand prend la communauté juive de La Chaux-de-Fonds comme exemple. Celle-ci a réalisé un long parcours qui a abouti à la construction en 1896 de la synagogue actuelle en plein centre-ville, plus de 60 ans après la fondation de la communauté juive dans le canton[4] (source 4). Naïma évoque quant à elle le culte musulman auparavant réalisé dans des garages puis au sein de bâtiments réaffectés. À plusieurs reprises, le terme « intégration » a été remis en question, les intervenant·e·x·s lui préférant d’autres mots tels que « dialogue », « cohésion sociale » ou « vivre-ensemble ». Pour Sandrine, ils mettent l’accent sur les manières dont les communautés font déjà partie de la société, rompant ainsi avec l’idée qu’elles auraient besoin d’être « intégrées ».
Pour finir, des initiatives concrètes sont abordées. D’un point de vue institutionnel, la Ville de La Chaux-de-Fonds a mis en place une carte citoyenne. Elle permet aux personnes issues de l'asile ou aux sans-papiers, entre autres, de posséder un moyen de légitimation et de bénéficier d'avantages auprès d’institutions culturelles et sportives de la ville. Quant aux initiatives citoyennes, Bertrand souligne l’existence du Groupe cantonal neuchâtelois de dialogue interreligieux dont il fait partie. Il s'agit d'un espace de dialogue au sein duquel différentes communautés ont l'opportunité de se rencontrer et d'échanger. Divers projets y sont menés, telles que des visites d'espaces religieux ou des rencontres avec le public. Des visites guidées sont ainsi organisées à l’intérieur de la synagogue de La Chaux-de-Fonds (source 4). À ce sujet, Sandrine évoque des discussions en cours autour d’éventuels nouveaux parcours de médiation culturelle dans la ville.
En conclusion, les discriminations et stéréotypes visant les communautés juives et musulmanes n’ont malheureusement pas disparu, loin de là. Cependant, les moyens d’y faire face existent. Pour lutter contre ceux-ci, il s’agit de remettre en question certaines croyances erronées sur ces communautés, via des visites guidées des lieux de cultes, le dialogue interreligieux, mais aussi une action quotidienne par touxtes. Naïma conclut sur ce point lors des échanges avec le public : tout le monde peut agir - sans pour autant prendre la parole à la place des concerné·e·x·s - par exemple en thématisant ces questions dans son entourage ou en votant, afin que leurs voix et leurs efforts soient amplifiés.
Image : © « Dialogue en Route »
Ressources mentionnées :
L’association Mosaïk à Bienne : https://mosaiik.ch/fr/
Le Groupe cantonal neuchâtelois de dialogue interreligieux : http://www.di-ne.org/
La carte citoyenne et le LOCAL à la Chaux-de-Fonds : https://www.chaux-de-fonds.ch/medias/Documents/communiques/2024_03_22.pdf
[1] République et canton de Neuchâtel. Semaine d’actions contre le racisme (SACR). URL : https://www.ne.ch/autorites/DECS/COSM/campagnes-evenements/Pages/Semaine-d'action-contre-le-racisme.aspx (Consultée le 31.03.2025).
[2] Confédération Suisse. Commission fédérale contre le racisme CFR. Discrimination. URL : https://www.ekr.admin.ch/themes/f502.html (Consultée le 07.04.2025).
[3] Confédération suisse. Étude de référence sur le racisme antimusulman en Suisse : première analyse complète assortie de recommandations. https://www.admin.ch/gov/fr/accueil/documentation/communiques.msg-id-104323.html (Consultée le 07.04.2025).