16.04.2021

Table ronde « Féminismes et religions » : un compte-rendu

La discussion, animée par Ophélie Jobin et Lucrezia Oberli, du Cabinet ethnographique, a réuni Julie Beniflah (juive et cheffe de projet Likrat Romandie), Sœur Adrienne Barras (catholique et membre de la congrégation des sœurs de Saint Maurice) et Gwendoline Noël-Reguin (protestante, diacre stagiaire de la Paroisse de Monthey et membre du Collectif Femmes* Valais) au théâtre de Valère à Sion pour qu’elles puissent partager leurs expériences personnelles. Miriam Amrani (musulmane et présidente de l’association Espace Mouslima) n’a pas pu être présente mais a partagé son témoignage à travers un enregistrement vidéo.

Le titre de la table ronde, « Féminismes et religions », au pluriel, tenait à souligner qu’il existe de nombreuses postures féministes qui, sur certains sujets ayant trait aux femmes, peuvent tenir des avis divergents. Les différents rapports qu’il existe envers le(s) féminisme(s) se sont reflétés dans les définitions des intervenantes : alors que pour Miriam Amrani le féminisme peut avoir une connotation négative car il fait référence à un féminisme laïque, voire colonial, pour Julie Beniflah le féminisme n’a pas cette connotation négative. Il signifie tout simplement être une femme dans une société, décider de ce qu’on a envie de faire et y aller, sans obstacle.

Concernant les « religions », au pluriel également, il était important de rappeler qu’il existe non seulement de nombreuses traditions mais aussi une grande diversité intrareligieuse.
Julie Beniflah a partagé son expérience d’engagement au sein de la communauté juive de Genève, motivée par son besoin d’affirmer son identité personnelle. Elle considère que la place de la femme est plus importante que celle de l’homme dans la tradition juive, car elle serait spirituellement supérieure. En tant que femme, elle a les atouts tant de l’homme que de la femme.

Sœur Adrienne Barras a partagé quant à elle une expérience vécue lors de la pandémie de Covid-19 : l’absence de prêtre pour présider les célébrations eucharistiques et les messes, même lors des célébrations de Pâques l’année dernière, a suscité beaucoup d’innovations et de créativité. Les sœurs ont commencé à proposer des commentaires et des méditations sur la Parole, une prédication qui en temps normal est réservée à celui qui préside. Elle a également relevé le paradoxe auquel fait face l’Église catholique : alors que les femmes ont en tout temps été très actives au sein de l’Église et ont occupé de nombreux rôles, elles n’ont toujours pas accès aux décisions et manquent jusqu’à ce jour de reconnaissance. Elle souhaiterait dans ce sens que s’opère un changement de mentalité, même si elle est consciente que cela nécessiterait beaucoup de temps.

Ce souhait était partagé tant par Gwendoline Noël-Reguin que par Miriam Amrani. En effet, Gwendoline Noël-Reguin, a affirmé souhaiter un changement dans la mentalité des gens mais pas dans l’institution protestante elle-même, qu’elle considère comme naturellement ouverte à tout le monde et où les femmes y ont une place depuis longtemps. Dans la même veine, Miriam Amrani estime qu’il faudrait travailler sur les mentalités et sur le poids des traditions culturelles qui sont très éloignées de l’islam. En citant un verset du Coran (2:187), elle a insisté sur la complémentarité de l’homme et de la femme et de la nécessité de travailler en collaboration. Ces propos appelant à un changement des mentalités ont fait écho au mot d’ouverture de la présidente d’Iras Cotis. Rifa’at Lenzin a en effet souligné que les rôles des femmes ne dépendent pas seulement des doctrines théologiques mais aussi des conditions sociales générales.

Aujourd’hui et dans le sens commun, il semble aller de soi qu’une posture féministe ne peut être conciliée avec une appartenance et/ou une pratique religieuse. Pourtant, c’est oublier l’histoire qui démontre que les relations entre féminismes et religions n’ont pas toujours été conflictuelles. Au contraire, certains mouvements féministes, en Europe comme ailleurs, ont des racines religieuses. Selon Béatrice de Gasquet, sociologue spécialiste des études genre et des faits religieux, ce serait à partir des années 1980 qu’apparaît dans le sens commun une vision qui oppose féminismes et religions. En conséquence, cela a invisibilisé les voix qui se sont élevées et qui s’expriment toujours au sein des traditions religieuses pour questionner et agir sur la place et les rôles des femmes. Cette table ronde a permis de lever le voile sur ces réalités vécues qui défient cette opposition.

Finalement, la valeur intrinsèque donnée à l’être humain et l’égale dignité de l’homme et de la femme que l’on retrouve dans les différentes traditions pourraient être un apport utile aux débats féministes et aux féminismes laïcs, comme l’ont relevé les intervenantes. Aussi, la nécessité d’une véritable sororité et fraternité, voire d’adelphité(1)  a été maintes fois mise en avant. Un accent a également été mis sur le besoin d’un partenariat entre les femmes et les hommes pour tendre à des relations plus équitables au sein des communautés religieuses et à plus de justice pour tout le monde dans nos sociétés.

(Re)visionner la table ronde

(1) « Un mot inventé, pour un sentiment à imaginer, à rêver, à réaliser, peut-être, en ce XXI° siècle. Le mot adelphité est formé sur la racine grecque adelph- qui a donné les mots grecs signifiant sœur et frère, tandis que dans d’autres langues (sauf en espagnol et en portugais, ainsi qu’en arabe), sœur et frère proviennent de deux mots différents. Englobant sororité (entre femmes) et fraternité (entre hommes), l’adelphité désigne des relations solidaires et harmonieuses entre êtres humains, femmes et hommes » définition de Florence Montreynaud, écrivaine, historienne, linguiste et militante féministe, tirée du site : https://lespotiches.com/culture/comprendre/definition-adelphite-qu-est-ce-que-c-est/ (consulté le 11 avril 2021)