None

09.06.2022

Être non-civilisé·e·s en 2022

Au début de cette année, nous avons été témoins de plusieurs déclarations faites dans les médias et sur les réseaux sociaux, comparant les refugié·e·s de continents différents ; selon certain·e·s, les citoyen·nne·s de pays proches, qui partagent des ressemblances physiques avec le peuple du pays où elles et ils cherchent à trouver refuge, sont plus dignes d’être acceuilli·e·s. On entend aussi parler de pays plus « civilisés » que d’autres, classifiant ainsi les refugié·e·s de manière inégale selon leur nationalité.  

Est-il pourtant possible de parler de peuples civilisés et de peuples non-civilisés en 2022 ? Quelle est l’origine de ce débat et que pourrait-il nous apprendre ?

Le livre « Race et Histoire » (1952) écrit par Claude Lévi-Strauss, anthropologue et ethnologue français offre une réflexion importante pour notre propos. Dans cet ouvrage, Lévi-Strauss dénonce les préjugés racistes en faisant une déclaration assez choquante : « Le barbare c’est celui qui croit à la barbarie ».

Lévi-Strauss critique dans son ouvrage les thèses influencées par le colonialisme (notamment celle de Gobineau) qui classent les êtres humains en races et donnent le droit à certains peuples, qui se croient supérieurs aux autres, de prendre à leur charge l’éducation et la civilisation des peuples qu’ils pensent culturellement inférieurs à eux.

Il explique que la différence entre les races et les cultures n’est que le fruit d’une discrimination datant de l’Antiquité, dans laquelle tous les peuples qui ne faisaient pas partie de la culture gréco-romaine étaient considérés comme « barbares ». Les deux mots « barbare » et « sauvage » sont employés par les civilisations occidentales pour désigner des cultures étrangères. En effet, le mot « barbare » fait référence au chant incompréhensible des oiseaux, et le mot « sauvage » à la vie animale, sans culture et sans morale.

En qualifiant quelqu’un de « sauvage » ou de « barbare », on vise à le déshumaniser. Ce que la déclaration de Lévi-Strauss veut mettre en relief, c’est le fait que, en traitant d’autres êtres humains de « barbares » pour les déshumaniser, l’individu responsable de ce discours montre son intention qui est assez violente, même « barbare » selon l’anthropologue. Pour lui, alors, l’individu qui traite les autres peuples de barbares et qui croit à la barbarie, manque lui-même d’humanité. 

Il est assez remarquable qu’un propos daté de 1952 soit toujours d’actualité aujourd’hui. Pour quelle raison aurions-nous besoin de qualifier « l’autre » de « barbare » quand nous avons aujourd’hui tous les moyens nécessaires pour établir un dialogue entre les différents peuples malgré la multitude de langues parlées dans le monde ? Cette citation mérite notre attention et pourrait jouer un rôle dans la réflexion vis-à-vis des situations où l’on compare les êtres humains et réduit la valeur de leur humanité.

 

Sources :

Grierson, J. (2022, April 3). UK opens more welcome hubs for Ukrainian refugees. The Guardian. Retrieved May 27, 2022, from https://www.theguardian.com/uk-news/2022/apr/03/uk-opens-more-welcome-hubs-for-ukrainian-refugees

Lévi-Strauss, C., & Scherrer, J.-B. (2016). Race et Histoire. Gallimard.

Schneckenburger Benoît. (2017). Les phrases choc de la philosophie commentées. Ellipses.


Image : Manifestations à Londres appelant le gouvernement à accueillir plus de refugié·e·s. (The Guardian April 3, 2022)